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rance, et elles de séduire, de tromper et de gouverner leurs maîtres. L’amour sera pour lors entre les deux sexes ce que l’amitié la plus douce et la plus vraie est entre les hommes vertueux ; ou plutôt ce sera un sentiment plus délicieux encore, le complément et la perfection de l’amitié ; sentiment qui, dans l’intention de la nature, devait nous rendre heureux ; et que pour notre malheur nous avons su altérer et corrompre.

Enfin ne nous arrêtons pas seulement, monsieur, aux avantages que la société pourrait tirer de l’éducation des femmes ; ayons de plus l’humanité et la justice de ne pas leur refuser ce qui peut leur adoucir la vie comme à nous. Nous avons éprouvé tant de fois combien la culture de l’esprit et l’exercice des talents sont propres à nous distraire de nos maux, et à nous consoler dans nos peines : pourquoi refuser à la plus aimable moitié du genre humain destinée à partager avec nous le malheur d’être, le soulagement le plus propre à le lui faire supporter ? Philosophes que la nature a répandus sur la surface de la terre, c’est à vous à détruire, s’il vous est possible, un préjugé si funeste ; c’est à ceux d’entre vous qui éprouvent la douceur ou le chagrin d’être pères, d’oser les premiers secouer le joug d’un barbare usage, en donnant à leurs filles la même éducation qu’à leurs autres enfants. Qu’elles apprennent seulement de vous, en recevant cette éducation précieuse, à la regarder uniquement comme un préservatif contre l’oisiveté, un rempart contre les malheurs, et non