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La chasteté des comédiennes, j’en conviens avec vous, est plus exposée que celle des femmes du monde ; mais aussi la gloire de vaincre en doit être plus grande : il n’est pas rare d’en voir qui résistent long-temps, et il serait plus commun d’en trouver qui résistassent toujours, si elles n’étaient comme découragées de la continence par le peu de considération réelle qu’elles en retirent. Le plus sûr moyen de vaincre les passions est de les combattre par la vanité : qu’on accorde des distinctions aux comédiennes sages, et ce sera, j’ose le prédire, l’ordre de l’état le plus sévère dans ses mœurs. Mais quand elles voient que d’un côté on ne leur sait aucun gré de se priver d’amants, et que de l’autre il est permis aux femmes du monde d’en avoir, sans en être moins considérées, comment ne chercheraient-elles pas leur consolation dans des plaisirs qu’elles s’interdiraient en pure perte ?

Vous êtes du moins, monsieur, plus juste ou plus conséquent que le public ; votre sortie sur nos actrices en a valu une très-violente aux autres femmes. Je ne sais si vous êtes du petit nombre des sages qu’elles ont su quelquefois rendre malheureux, et si par le mal que vous en dites vous avez voulu leur restituer celui qu’elles vous ont fait. Cependant je doute que votre éloquente censure vous fasse parmi elles beaucoup d’ennemies ; on voit percer à travers vos reproches le goût très-pardonnable que vous avez conservé pour elles, peut-être même quelque chose de plus vif ; ce mélange de sévérité et de faiblesse (pardonnez-moi