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portement d’Alceste, qui se pique de vérité dans les choses les plus indifférentes, au risque de blesser ceux à qui il la dit. Cette colère du Misanthrope sur la complaisance de Philinte n’en eût été que plus plaisante, parce qu’elle eût été moins fondée ; et la situation des personnages eût produit un jeu de théâtre d’autant plus grand, que Philinte eût été partagé entre l’embarras de contredire Alceste et la crainte de choquer Oronte. Mais je m’aperçois, monsieur, que je donne des leçons à Molière.

Vous prétendez que dans cette scène du sonnet, le Misanthrope est presque un Philinte ; et ses je ne dis pas cela, répétés avant que de déclarer franchement son avis, vous paraissent hors de son caractère. Permettez-moi de n’être pas de votre sentiment. Le Misanthrope de Molière n’est pas un homme grossier, mais un homme vrai ; ses je ne dis pas cela, surtout de l’air dont il les doit prononcer, font suffisamment entendre qu’il trouve le sonnet détestable ; ce n’est que quand Oronte le presse et le pousse à bout qu’il doit lever le masque et lui rompre en visière. Rien n’est, ce me semble, mieux ménagé et gradué plus adroitement que cette scène ; et je dois rendre cette justice à nos spectateurs modernes, qu’il en est peu qu’ils écoutent avec plus de plaisir. Aussi je ne crois pas que ce chef-d’œuvre de Molière, supérieur peut-être de quelques années à son siècle, dût craindre aujourd’hui le sort équivoque qu’il eut à sa naissance ; notre parterre, plus fin et plus éclairé qu’il ne l’était il y a soixante ans, n’aurait plus besoin