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m’a toujours paru, non pas absolument, comme vous le prétendez, un caractère odieux, mais un caractère mal décidé, plein de sagesse dans ses maximes et de fausseté dans sa conduite. Rien de plus sensé que ce qu’il dit au Misanthrope dans la première scène, sur la nécessité de s’accommoder aux travers des hommes ; rien de plus faible que sa réponse aux reproches dont le Misanthrope l’accable sur l’accueil affecté qu’il vient de faire à un homme dont il ne sait pas le nom. Il ne disconvient pas de l’exagération qu’il a mise dans cet accueil, et donne par là beaucoup d’avantage au Misanthrope. Il devait répondre, au contraire, que ce qu’Alceste avait pris pour un accueil exagéré, n’était qu’un compliment ordinaire et froid, une de ces formules de politesse dont les hommes sont convenus de se payer réciproquement lorsqu’ils n’ont rien à se dire. Le Misanthrope a encore plus beau jeu dans la scène du sonnet. Ce n’est point Philinte qu’Oronte vient consulter, c’est Alceste ; et rien n’oblige Philinte de louer comme il fait le sonnet d’Oronte à tort et à travers, et d’interrompre même la lecture par ses fades éloges. Il devait attendre qu’Oronte lui demandât son avis, et se borner alors à des discours généraux, et à une approbation faible, parce qu’il sent qu’Oronte veut être loué, et que dans des bagatelles de ce genre on ne doit la vérité qu’à ses amis ; encore faut-il qu’ils aient grande envie ou grand besoin qu’on la leur dise. L’approbation faible de Philinte n’en eût pas moins produit ce que voulait Molière, l’em-