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geance et de la haine. D’ailleurs quand ces pièces ne nous enseigneraient directement aucune vérité morale, seraient-elles pour cela blâmables ou pernicieuses ? Il suffirait, pour les justifier de ce reproche, de faire attention aux sentiments louables, ou tout au moins naturels, qu’elles excitent en nous ; Œdipe et Phèdre l’attendrissement sur nos semblables, Atrée et Médée le frémissement et l’horreur. Quand nous irions à ces tragédies, moins pour être instruits que pour être remués, quel serait en cela notre crime et le leur ? Elles seraient pour les honnêtes gens, s’il est permis d’employer cette comparaison, ce que les supplices sont pour le peuple, un spectacle où ils assisteraient par le seul besoin que tous les hommes ont d’être émus. C’est en effet ce besoin, et non pas, comme on le croit communément, un sentiment d’inhumanité qui fait courir le peuple aux exécutions des criminels. Il voit au contraire ces exécutions avec un mouvement de trouble et de pitié, qui va quelquefois jusqu’à l’horreur et aux larmes. Il faut à ces âmes rudes, concentrées et grossières, des secousses fortes pour les ébranler. La tragédie suffit aux âmes plus délicates et plus sensibles ; quelquefois même, comme dans Médée et dans Atrée, l’impression est trop violente pour elles. Mais bien loin d’être alors dangereuse, elle est au contraire importune ; et un sentiment de cette espèce peut-il être une source de vices et de forfaits ? Si dans les pièces où l’on expose le crime à nos yeux, les scélérats ne sont pas toujours pu-