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nuisent davantage. Quelle morale que celle qui présente si souvent aux yeux des spectateurs des monstres impunis et des crimes heureux ? Un Atrée qui s’applaudit des horreurs qu’il a exercées contre son frère ; un Néron qui empoisonne Britannicus pour régner en paix ; une Médée qui égorge ses enfants, et qui part en insultant au désespoir de leur père ; un Mahomet qui séduit et qui entraîne tout un peuple, victime et instrument de ses fureurs ! Quel affreux spectacle à montrer aux hommes, que des scélérats triomphants ! » Pourquoi non, monsieur, si on leur rend ces scélérats odieux dans leur triomphe même ? Peut-on mieux nous instruire à la vertu, qu’en nous montrant d’un côté les succès du crime, et en nous faisant envier de l’autre le sort de la vertu malheureuse ? Ce n’est pas dans la prospérité ni dans l’élévation qu’on a besoin d’apprendre à l’aimer, c’est dans l’abjection et dans l’infortune. Or sur cet effet du théâtre, j’en appelle avec confiance à votre propre témoignage : interrogez les spectateurs l’un après l’autre au sortir de ces tragédies que vous croyez une école de vice et de crime ; demandez-leur lequel ils aimeraient mieux être, de Britannicus ou de Néron, d’Atrée ou de Thieste, de Zopire ou de Mahomet ; hésiteront-ils sur la réponse ? Et comment hésiteraient-ils ? Pour nous borner à un seul exemple, quelle leçon plus propre à rendre le fanatisme exécrable, et à faire regarder comme des monstres ceux qui l’inspirent, que cet horrible tableau du quatrième acte de Maho-