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préjugés et les rois, si les Athéniens eussent passé leur chemin sans le regarder et sans l’entendre. La vraie philosophie ne consiste point à fouler aux pieds la gloire, et encore moins à le dire ; mais à n’en pas faire dépendre son bonheur, même en tâchant de la mériter. On n’écrit donc, monsieur, que pour être lu, et on ne veut être lu que pour être estimé ; j’ajoute, pour être estimé de la multitude, de cette multitude même dont on fait d’ailleurs (et avec raison) si peu de cas. Une voix secrète et importune nous crie que ce qui est beau, grand et vrai plaît à tout le monde, et que ce qui n’obtient pas le suffrage général manque apparemment de quelqu’une de ces qualités. Ainsi, quand on cherche les éloges du vulgaire, c’est moins comme une récompense flatteuse en elle-même, que comme le gage le plus sûr de la bonté d’un ouvrage. L’amour-propre qui n’annonce que des prétentions modérées, en déclarant qu’il se borne à l’approbation du petit nombre, est un amour-propre timide qui se console d’avance, ou un amour-propre mécontent qui se console après coup. Mais, quel que soit le but d’un écrivain, soit d’être loué, soit d’être utile, ce but n’importe guère au public ; ce n’est point là ce qui règle son jugement, c’est uniquement le degré de plaisir ou de lumière qu’on lui a donné. Il honore ceux qui l’instruisent, il encourage ceux qui l’amusent, il applaudit ceux qui l’instruisent en l’amusant. Or les bonnes pièces de théâtre me paraissent réunir ces deux derniers avantages. C’est la