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vous, monsieur, la force de chercher leur bonheur dans la triste et uniforme tranquillité de la solitude. Mais cette ressource ne vous manque-t-elle jamais à vous-même ? N’éprouvez-vous jamais au sein du repos, et quelquefois du travail, ces moments de dégoût et d’ennui qui rendent nécessaires les délassements ou les distractions ? La société serait d’ailleurs trop malheureuse si tous ceux qui peuvent se suffire ainsi que vous, s’en bannissaient par un exil volontaire. Le sage en fuyant les hommes, c’est-à-dire en évitant de s’y livrer (car c’est la seule manière dont il doit les fuir), leur est au moins redevable de ses instructions et de son exemple ; c’est au milieu de ses semblables que l’Être suprême lui a marqué son séjour, et il n’est pas plus permis aux philosophes qu’aux rois d’être hors de chez eux.

Je reviens aux plaisirs du théâtre. Vous avez laissé avec raison aux déclamateurs de la chaire cet argument si rebattu contre les spectacles, qu’ils sont contraires à l’esprit du christianisme, qui nous oblige de nous mortifier sans cesse. On s’interdirait sur ce principe les délassements que la religion condamne le moins. Les solitaires austères de Port-Royal, grands prédicateurs de la mortification chrétienne, et par cette raison grands adversaires de la comédie, ne se refusaient pas dans leur solitude, comme l’a remarqué Racine, le plaisir de faire des sabots, et celui de tourner les jésuites en ridicule.

Il semble donc que les spectacles, à ne les con-