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présenter sur des planches les infortunes et les travers de nos semblables, pour nous consoler ou nous guérir des nôtres ; et à nous rendre spectateurs de la vie, d’acteurs que nous y sommes, pour nous en adoucir le poids et les malheurs. Cette réflexion triste vient quelquefois troubler le plaisir que je goûte au théâtre ; à travers les impressions agréables de la scène, j’aperçois de temps en temps, malgré moi et avec une sorte de chagrin, l’empreinte fâcheuse de son origine ; surtout dans ces moments de repos, où l’action suspendue et refroidie laissant l’imagination tranquille ne montre plus que la représentation au lieu de la chose, et l’acteur au lieu du personnage. Telle est, monsieur, la triste destinée de l’homme jusque dans les plaisirs même ; moins il peut s’en passer, moins il les goûte ; et plus il y met de soins et d’étude, moins leur impression est sensible. Pour nous en convaincre par un exemple encore plus frappant que celui du théâtre, jetons les yeux sur ces maisons décorées par la vanité et par l’opulence, que le vulgaire croit un séjour de délices, et où les raffinements d’un luxe recherché brillent de toutes parts ; elles ne rappellent que trop souvent au riche blasé qui les a fait construire, l’image importune de l’ennui qui lui a rendu ces raffinements nécessaires.

Quoi qu’il en soit, monsieur, nous avons trop besoin de plaisirs pour nous rendre difficiles sur le nombre ou sur le choix. Sans doute tous nos divertissements forcés et factices, inventés et mis