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mon papier au feu. J’en suis devenu moins sévère à moi-même. J’ai cherché dans mon travail quelque amusement qui me le fit supporter. Je me suis jeté dans toutes les digressions qui se sont présentées, sans prévoir combien, pour soulager mon ennui, j’en préparais peut-être au lecteur.

Le goût, le choix, la correction ne sauraient se trouver dans cet ouvrage. Vivant seul, je n’ai pu le montrer à personne. J’avais un Aristarque sévère et judicieux ; je ne l’ai plus, je n’en veux plus a

[[#lien a| «Ad amicum etsi produxeris gladium, non desperes ; est enim regressus. Ad amicum si aperueris os triste, non timeas ; est enim concordatio : excepto convicio, et improperio, et superbiâ, et mysterii revelatione, et plagâ dolosâ ; in his omnibus effugiet amicus » Ecclesiastic. xxii, 26, 27 * ]]


{{Refa|*| « Si vous avez tiré l’épée contre votre ami, n’en désespérez pas ; car il y a moyen de revenir. Si vous l’avez attristé par vos paroles, ne craignez rien, il est possible encore de vous réconcilier avec lui. Mais pour l’outrage, le reproche injurieux, la révélation du secret I et la plaie faite à son cœur en trahison, point de grâce à ses yeux : il s’éloignera sans retour. » Cette traduction est de Marmontel (Mémoires, livre vii).

C’est le véritable motif de la rupture de J. J. avec Diderot qui est l’Aristarque regretté. Rousseau lui avait confié, sous le secret, les remords que lui causait l’abandon de ses enfants. Ce fatal secret fut bientôt su de tout le monde.


mais je le regretterai sans cesse, et il manque bien plus encore à mon cœur qu’à rues écrits.

La solitude calme l’âme et apaise les passions que le désordre du monde a fait naître. Loin des vices qui nous irritent, on en parle avec moins d’indignation ; loin des maux qui nous touchent, le cœur en est moins ému. Depuis que je ne vois plus les hommes, j’ai presque cessé de haïr les méchants. D’ailleurs le mal qu’ils m’ont fait à moi-même m’ôte le droit d’en dire d’eux. Il faut désormais que je leur pardonne, pour ne leur pas ressembler. Sans y songer, je substituerais l’amour de la vengeance à celui de la justice : il vaut mieux tout oublier. J’espère qu’on ne me trouvera plus cette âpreté qu’on me reprochait, mais qui me faisait lire ; je consens d’être moins lu, pourvu que je vive en paix.

A ces raisons il s’en. joint une autre plus cruelle, et que je