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spectacles et des mœurs, et jouirait de l’avantage des uns et des autres ; les représentations théâtrales formeraient le goût des citoyens, et leur donneraient une finesse de tact, une délicatesse de sentiment qu’il est très-difficile d’acquérir sans ce secours : la littérature en profiterait sans que le libertinage fit des progrès ; et Genève réunirait la sagesse de Lacédémone à la politesse d’Athènes. Une autre considération, digne d’une république si sage et si éclairée, devrait peut-être l’engager à permettre les spectacles. Le préjugé barbare contre la profession de comédien, l’espèce d’avilissement où nous avons mis ces hommes si nécessaires au progrès et au soutien des arts, est certainement une des principales causes qui contribuent au dérèglement que nous leur reprochons : ils cherchent à se dédommager, par les plaisirs, de l’estime que leur état ne peut obtenir. Parmi nous, un comédien qui a des mœurs est doublement respectable ; mais à peine lui en sait-on gré. Le traitant qui insulte à l’indigence publique et qui s’en nourrit, le courtisan qui rampe et qui ne paie point ses dettes ; voilà l’espèce d’hommes que nous honorons le plus. Si les comédiens étaient non-seulement soufferts à Genève, mais contenus d’abord par des règlements sages, protégés ensuite et même considérés dès qu’ils en seraient dignes, enfin absolument placés sur la même ligne que les autres citoyens, cette ville aurait bientôt l’avantage de posséder ce qu’on croit si rare, et qui ne l’est que par notre faute, une troupe de comédiens estimables. Ajoutons que cette troupe deviendrait bientôt la meilleure de l’Europe : plusieurs personnes pleines de goût et de dispositions pour le théâtre, et qui craignent de se déshonorer parmi nous en s’y livrant, accourraient à Genève, pour cultiver non-seulement sans honte, mais même avec estime, un talent si agréable et si peu commun. Le séjour de cette ville, que bien des Français regardent comme triste par la privation des spectacles, deviendrait alors le séjour des plaisirs honnêtes, comme il est celui de la philosophie et de la liberté ; et les étrangers ne seraient plus surpris de voir que, dans