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MIRABEAU.

les yeux », et il a parlé pendant trois heures. Ce matin, il va dormir quelques instants pour pouvoir aller ce soir continuer son discours.

Il n’a ni le temps, ni la force de marcher ; et cependant, il a chaque jour vingt courses urgentes qu’il ne peut différer ; cinquante lettres à dicter, à répondre, à envoyer sans retard à leur adresse. Il faut aller s’expliquer avec la Fayette, rompre ou se raccommoder pour la vingtième fois avec lui ; réchauffer le zèle fuyant de l’évêque d’Autun ; s’entendre avec Montmorin, qui n’est pas « commode » ; redresser Talon, qui n’est pas docile ; surveiller Sémonville, qui n’est pas sûr. Il faut sans cesse remettre dans le chemin de leur fourmilière « ces animalcules » qui s’agitent confusément à travers les intrigues dont il tient les fils. Comment se passer de carrosse pour faire toutes ces visites, de laquais pour porter toutes ces lettres ?

Et parmi ces tyrannies ruineuses qui se disputent ses jours, ses nuits et l’argent du Roi, il ne compte pas les passions qui l’entraînent, les séductions qui l’entourent, les exigences d’un tempérament indomptable dont les fatigues de cette activité sans repos irritent encore les ardeurs.

Telle est l’énorme machine que l’État et le Roi ont prise à leur service ; qui travaille, qui s’use à leur profit ; dont ils doivent assurer la marche et réparer les avaries. C’est un impôt national qui rapportera au pays plus qu’il ne lui coûte ; et Mirabeau peut le toucher sans rougir ; car, dans le marché qu’il a