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MIRABEAU.

Sans aller plus loin, on peut voir quel était le vice de cette convention clandestine, et sur quels écueils cet embarquement hasardeux devait échouer. En politique, il ne faut rien vouloir à peu près, ni rien tenter à demi ; et, avec un prince aussi incertain, aussi flottant et glissant que l’était Louis XVI, il n’y avait dans cette aventure ni avantage ni sûreté pour personne.

Quel profit le Roi pouvait-il tirer de ces notes furtives, parcourues en cachette le matin, oubliées bien avant le soir ; qu’il fallait rendre le plus vite possible à leur auteur, et que devaient ignorer les seules personnes qui les auraient dû connaître, c’est-à-dire les ministres chargés d’orienter la boussole et de manœuvrer le navire ?

Quant à Mirabeau, avocat consultant et conseiller occulte de la couronne, que gagnaient ses idées à ces dissertations éphémères, à cette éloquence muette qui ne devait avoir ni tribune ni public ? Notes et mémoires, ce n’était qu’un journal de plus, dont le Roi était l’unique lecteur et le seul abonné dans tout son royaume.

Pour que les conseils du hardi politique fussent utiles, il aurait fallu qu’il devînt ministre lui-même ; et c’était impossible, puisque, d’une part, le Roi n’osait pas congédier M. Necker ; puisque, d’autre part, aux termes d’un décret de l’Assemblée, qu’il avait vainement combattu, Mirabeau, en prenant le ministère, aurait dû abandonner la tribune, c’est-à-dire échanger la puissance contre le pouvoir et, avant de combattre, jeter ses armes.