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MIRABEAU.

struire par la pensée l’édifice politique qu’ils ont habité les derniers, qu’ils ont senti lentement fléchir, et dont ils s’efforçaient d’étayer les ruines ; édifice chancelant sous le poids des siècles, où une génération nouvelle, turbulente et sans gêne, se pressait en tumulte dans les compartiments symétriques de l’architecture d’autrefois. Les angles, les agencements, les décors, les êtres du passé gênaient presque partout les goûts, les exigences, les nécessités de ce monde nouveau. Dans cette bâtisse incohérente, tout le monde s’ingéniait à parler la même langue, mais avec des accents divers et des vocabulaires différents. Le Roi, le chapeau sur la tête, entouré des hérauts d’armes du moyen âge, s’essayait loyalement, mais non sans effort, à prononcer dans ses discours les mots difficiles de liberté, d’égalité, de constitution ; tandis que les députés du Tiers-État, l’esprit brouillé par les visions de Jean-Jacques, par les moqueries de Voltaire et par les livres des philosophes, ne voyaient déjà plus dans la royauté qu’une image confuse où, malgré eux, l’idole somptueuse d’autrefois disparaissait peu à peu sous les traits amincis de l’Exécutif, mandataire salarié de la nation et chef constitutionnel de l’État.

Pour comble de désordre, le Roi et les représentants de la nation ne correspondaient entre eux qu’à distance, avec la défiance mutuelle de deux pouvoirs jaloux l’un de l’autre, dont l’un avait toujours peur de trop céder, l’autre de ne pas assez prendre.

Qu’on ajoute à tout cela l’irrésolution maladive du