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MIRABEAU.

trouée de cicatrices, avec les traits rugueux d’un sphinx mutilé par le temps, aplatis et comme écrasés. Toute la vie est dans les yeux ; un charme étrange dans le sourire. La tête est grossie comme à dessein par le fouillis ébouriffé d’une chevelure insolente. Tout le personnage est extraordinaire, presque comique, avec des élégances et des politesses prétentieuses de provincial endimanché. Dès qu’il parle ou qu’il cause, ce gros homme déplaisant s’allège, se dégage et embellit. Ces lèvres épaisses s’abaissent avec dédain ou sourient avec grâce. Il a, tour à tour, « de certains yeux couchés » ou bien des regards chargés d’éclairs. Quoi qu’il dise, on l’écoute. Il captive ceux qu’il veut séduire, il fait peur aux autres. Il y prend plaisir, il s’en vante sans façon, avec cette ingénuité fanfaronne qui fait que, dans son pays de Provence, on se tutoie soi-même avec bienveillance, et qu’on parle de soi comme s’il s’agissait d’un autre. « On ne connaît pas toute la puissance de ma laideur. Quand je secoue ma terrible hure, il n’y a personne qui osât m’interrompre. » Entendez cela ! Il n’y manque que l’accent pour qu’on se sente de l’autre côté de la Durance.

La voix est souple, changeante, habile ; forte et vibrante, disent les uns ; tonnante, disent les autres ; « mielleuse », a écrit l’Ami des hommes. S’il faut en croire un collègue de Mirabeau, qui l’entendait tous les jours, c’était une voix « argentine ». Cela veut dire, en somme, qu’elle était tout ce qu’elle voulait être, se prêtant tour à tour à tous les tons et