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MIRABEAU.

protègent. Mais, sous ce litre d’occasion et sous ce nom de guerre, par delà ces questions d’affaires et par-dessus ces hommes d’argent, il laisse déborder, dans une improvisation impétueuse, toutes ses idées, tous ses projets, les plans qu’il a lentement mûris, les vastes réserves de son génie sans emploi et de sa politique en souffrance. Suivant l’accueil qui l’attend, son mémoire sera le programme d’un gouvernement ou le manifeste d’une révolution.

Bien que Calonne ne soit pas nommé une seule fois dans cet écrit, il peut, à chaque page, s’y reconnaître. Mais celui qu’attaque ouvertement Mirabeau, celui dont la popularité le gêne, dont la fatuité pédante l’exaspère, dont l’honnêteté pesante l’ennuie, c’est M. Necker. Il a contre lui une aversion de nature, qu’aggrave le ressentiment d’une supériorité dangereuse.

Jamais deux hommes ne furent dissemblables à ce point, aussi nécessairement antipathiques l’un à l’autre. Necker était, au dehors, aussi grave, aussi froid d’aspect, aussi discret et aussi décent que Mirabeau se montrait bruyant, incommode et désordonné. « Monsieur l’Ouragan », disait son père ; « le comte de la Bourrasque », disait son oncle. Honnête par tempérament, vertueux de naissance, le flegmatique Genevois tirait de sa vertu tout le revenu qu’elle lui pouvait rendre, dans un pays et dans un temps où la vertu semblait une curiosité imposante. Tandis que Mirabeau se dépensait en aventures scandaleuses, l’habile banquier administrait sa bonne