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MIRABEAU.

un tel souverain. « Mon âme s’indigne au spectacle qu’offrit Berlin à mes yeux stupéfaits, le jour de la mort du héros. Tout était morne, personne n’était triste. Tout était occupé ; personne n’était affligé. Le seul général Mollendorf pleurait. Au serment des troupes, son regard profondément triste, ses larmes involontaires, sa contenance d’un héros blessé Ijrisaient l’âme de l’observateur sensible. Mais il était le seul. Pas un regret, pas un soupir, pas un éloge ! On en était fatigué jusqu’à la haine. »

On a dit que, là comme ailleurs, Mirabeau avait beaucoup pris à d’autres. C’est possible. Dans cet inventaire de la monarchie prussienne, dont il décompose et démonte avec patience tous les ressorts, il a, sans doute, emprunté à toutes mains les documents qu’il a mis en œuvre. Ses idées, il les a trouvées dans ce fonds commun d’opinions et de passions contemporaines que l’historien examine, laisse aller, rejette ou retient au passage. Mais ce qu’il n’a pris à personne — pas même au major Mauvillon, — c’est la sûreté des jugements, la gravité du langage, la profondeur des vues pénétrantes et lointaines ; enfin, malgré l’emphase incorrigible qui, par instants, fait sourire, des mouvements et des traits auxquels, sans méprise possible, un penseur et un écrivain se font connaître. « On en était fatigué jusqu’à la haine… » Si le mot n’est pas de Tacite, il est d’un écrivain qui lui ressemble.

Qu’on lise encore cette page, que ma main tran-