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MIRABEAU.

moment où le grand Frédéric allait mourir ? À quel titre put-il obtenir des audiences presque familières du vieux roi ? Comment enfin, quelques mois après, le voit-on revenir en Prusse, avec Mme de Nehra, chargé, sans nul doute, d’une mission secrète par le gouvernement français, et par « le Calonne » qu’il avait traité si durement ? Ses biographes ne sont pas d’accord sur ce point. Ce qui paraît certain, c’est que, tout en se plaignant très haut « de l’existence amphibie » qu’on lui faisait mener en Allemagne, il acceptait cette ambassade équivoque comme le stage de quelque grand emploi diplomatique dû à ses talents et aux services qu’il avait su rendre.

Le travail effrayant auquel il se livra pendant toute une année, les correspondances, les mémoires, les documents sans nombre qu’il fit passer en France justifiaient de reste cette ambition légitime, qu’il aurait été facile et prudent de satisfaire.

Quelques années après, ce diplomate d’aventure, faisant, à trois, une bonne affaire, vendait à un libraire dont la femme était sa maîtresse, sa correspondance de Berlin avec le duc de Lauzun et l’abbé de Périgord, c’est-à-dire les rapports que, sous ces prête-noms convenus, il avait adressés au ministre. Ce marché honteux, qui livrait des papiers d’État au commerce, excita partout l’indignation la plus vive. Aujourd’hui que la diplomatie se fait dans les gazettes et que les dépêches des ambassadeurs figurent dans les catalogues des libraires, on serait sans doute moins sévère.