À toute âme aspirant aux émotions neuves,
Je dirai : « Venez voir le plus grand de nos fleuves,
Ce vieux Nil des déserts où Chateaubriand but2,
Et les mille affluens qui lui portent tribut,
L’Arkansa, le Wabash, l’Ohio, tous ceux que nomme
Si poétiquement le sauvage idiome ! »
Loin du boueux Paris, viens poëte avec nous !
Viens t’enivrer du chant de nos colins-foroux3,
Et de ces mille voix que la forêt bégaie
La nuit ; dans nos bayous, viens, plongeant la pagaie4,
Avec le nègre ardent rivaliser d’efforts ;
Viens chasser le chevreuil caché dans nos bois-forts5,
Européen blasé, viens te faire sauvage :
Ah ! loin de cette foule, au pesant esclavage,
Loin d’un monde égoïste où tu maudis le sort,
Dans nos calmes déserts, viens voir comme l’on dort !
Viens voir les Indiens, dans nos pinières vertes,
En cercle, insoucieux, couchés sur leurs couvertes6 ;
Viens voir le nègre heureux péchant au bord de l’eau. :
Esclave, il voit un père où tu vois un bourreau.
Sous la hutte de pin, oh ! viens, comme Pavie7,
Retrouver dans nos bois l’indépendante vie,
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