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LE GRAND SILENCE BLANC

masque froid, derrière vos bésicles, votre œil pétille. Malice ? non, bonté. C’est pourquoi je suis là.

Et comme pour prouver sa présence, l’homme se cala dans le fauteuil, changea ses jambes de place, puis il continua :

— Qui je suis ? Freddy.

Parbleu, oui, j’ai un autre nom, comme tout le monde, mais qu’importe ? J’ai trente-six ans depuis… (il regarda son bracelet-montre)… depuis deux heures trente-cinq minutes. Mais trente-six ans bien employés…

Il resta un moment silencieux, comme poursuivant un rêve. J’en profitai pour le dévisager à mon aise. La lampe éclairait en plein sa figure. Trente-six ans, pas possible ! je lui en aurais donné vingt-huit ou trente, tout au plus. Mais, en examinant bien, le visage est osseux, les joues creuses, ces rides qui guillochent les tempes… ce pli amer qui tire la bouche… cet être-là a souffert… Seules les lèvres sont jeunes, d’un rouge vif, plus rouge et plus vif de la pâleur des joues… Le front en pleine lumière découvre une intelligence éveillée et les yeux brillent d’un feu sombre, dans la cavité des paupières.

Mais l’homme a repris son discours.

— Je ne suis pas venu ici pour faire une confession. Je ne fouillerai pas avec le crochet de Jean-Jacques les épaves de ma jeunesse.

Ce que j’ai fait ? Mille métiers, mille misères,