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LE GRAND SILENCE BLANC

où l’on danse, au Northern, un fameux bar, entre nous.

Dans le fond l’orchestre, représenté par un orgue mécanique ; à droite, le comptoir où trônait master John Sulivan, une épaisse brute qui, entre deux rasades, glapissait : « Allons, garçons, choisissez vos cavalières, fifty cents le tour. » Ici, ça ne coûte que cinquante sous ; à Skagway, à Dyea, à Dawson, la polka ou la valse se paye un dollar… mais à Sitka, il y a plus de marchandises que d’acheteurs ; la loi de l’offre et de la demande joue… l’offre dépasse la demande, alors le produit est en baisse…

Les dancing-girls de Sitka ? Pfut, la même chose que celles de là-haut, un peu plus fripées, peut-être, parce que plus misérables… Dieu les garde tout de même !

Je n’aime pas tourner en rond ou piétiner sur place, même lorsque cela ne coûte que cinquante sous.

Ce soir-là, de nombreuses dancing-girls étaient inoccupées, faute de clients. Elles étaient assises, leurs robes pailletées cachées sous de vastes fichus de laine ; jamais la ressemblance avec un morne bétail ne m’avait paru aussi rigoureusement identique.

Cependant quelques matelots — débarqués la veille d’un steamer de San-Francisco, qui ravitaille toute la côte depuis l’archipel de la Reine-Charlotte jusqu’à Saint-Paul, l’île des Phoques