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LE GRAND SILENCE BLANC

Peureuses, les bêtes se dispersent. Il les rappelle de la voix, un aboiement clair comme un commandement. Les chiens obéissants s’assemblent.

Il se place à leur tête et voilà mon bataillon qui se met en marche. Un aboi bref, la troupe s’arrête devant le traîneau chargé que j’ai laissé, voici une heure, à l’abri d’un boqueteau de sapins, de pauvres sapins rabougris perdus dans la solitude polaire.

Tempest laisse les chiens soumis et s’approche de moi. Cette fois, il n’aboie pas. Il me regarde. Je lis dans ses yeux comme dans un livre et ses yeux me disent :

— Eh bien, qu’attends-tu ? Tu ne vois donc pas que nous sommes prêts ? Allons, en route, dépêche-toi.

— Tempest, old fellow, vous êtes maboule. Nous venons d’arriver et vous voulez repartir. Le traîneau est lourdement chargé, l’étape a été rude, vos frères sont fatigués. Tous n’ont pas vos jarrets d’acier. Depuis huit jours que nous sommes en route, j’ai moi-même les reins en capilotade, il fait doux ici, le vent ne souffle pas. Patientez, patientez. « Il y a un temps qui trempe et l’autre qui détrempe », dit-on en languedocien, mais vous n’entendez pas la langue de mes pères, donc fichez-moi la paix.

Ce discours, accompagné d’une tape peu rude, ne satisfait pas mon ami. Il est sensible cepen-