Page:Rouquette - Le Grand Silence Blanc, 1920.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.
31
LE GRAND SILENCE BLANC



Le soir tombe. Le steamer glisse, silencieux, sur les eaux étroites du détroit de Wrangell. Çà et là, un chapelet de bouées s’égrène, indiquant au navire les récifs qui brusquement jaillissaient du fond des abîmes à fleur d’eau. Parfois, on voit les roches, comme des bêtes sournoises tapies. Elles essaient de happer la proie facile, mais nous passons et l’écume du sillage les recouvre.

Des sapins, poussés là, Dieu sait comment ! se penchent vers nous jusqu’à nous toucher. Un soleil oblique éclaire les hautes falaises noires et derrière nous, nous laissons un gouffre d’ombre.

Tout à coup, la muraille de basalte s’échancre et un glacier immense, tombant à pic dans la mer, apparaît. Sur sa blancheur vierge, le vent balaye les neiges récentes et le soleil fait miroiter des lumières violettes, oranges et bleues.

Un oiseau passe dont les ailes roses battent longuement dans un rayon.

Venant du cœur du navire, on entend le râle continu de l’agonisant qui quitte la vie, peu à peu.