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LE GRAND SILENCE BLANC

Tu ne grifferas plus de ton ongle dur ma cuisse pour me demander un morceau…

Le double sac de toile est vide que tu ne porteras plus sur ton dos, du moins avec moi. Tes harnais, un autre que moi les fourbira… Ils pendent au mur comme des choses inutiles.

Nous n’irons plus courir ensemble du nord au sud, de l’est à l’ouest. Finies les randonnées sur la neige, dans la forêt, dans les toundras !

Le trail est effacé pour moi.

Allons, mange, mon vieux, la pâtée préparée. Si, mange, je le veux. Tu secoues la tête et tu la baisses comme si tu étais en faute, tes oreilles sont repliées, tes jarrets se cassent…

Tempest, tu as du chagrin, je le sais, je le sens, je le vois…

Non, ne me regarde pas ainsi, tes yeux ont un air de reproche. Écoute-moi, vieux, il faut que je m’en aille ; j’ai mon pays là-bas, où je vais revenir… un pays où la neige est un accident, où la mer est d’un bleu profond, qui se confond avec le bleu du ciel…

Je ne peux plus rester ici. Hélas ! je n’ai point fait fortune. J’ai vécu et ma vie a été moins rude, moins impitoyable parce que je t’avais.

Tu as souffert mes peines et ressenti mes joies. Depuis des mois, nous étions l’un à l’autre, nous avons été côte à côte, nous soutenant tous deux.

Et le meilleur, c’est toi.

J’étais nerveux souvent — tu sais, les heures