Il était tombé assommé derrière son comptoir. Nous, sous les tables…
Combien de temps dura notre ivresse ? Je ne sais ; je me souviens, nettement, m’être réveillé me croyant dans un nouveau rêve. Mon corps brisé ne bougeait pas. Il m’eût été pénible de remuer un doigt. Mais mon cerveau avait repris sa faculté de réception. Une musique, douce et grave, me berçait et mon âme s’éveillait dans la réalité bien plus belle que le songe.
Sandrino était à son piano. Il jouait. Ses mains, qui frappaient en cadence les fox-trotts et les refrains pleurards, ses mains plus blanches, plus diaphanes que jamais, animaient l’instrument qui vibrait et vivait. Je n’aurais jamais cru qu’on pût ainsi extérioriser son âme.
Sandrino jouait la Damnation de Faust. C’était une reprise sur lui-même, une revanche de sa volonté d’artiste bafoué.
L’harmonie montait comme un triomphe, purifiant les mauvais instincts, les bas désirs, les louches compromissions.
Sandrino sortait de la fange où on l’avait ravalé et il s’élevait beau comme un Dieu.
La pensée musicale de Berlioz se développait, rude, heurtée, violente avec le chœur des étudiants et des soldats pour devenir aérienne avec le ballet des Sylphes. L’idée mélodique s’affirmait, pure comme une eau de source, sans une mièvrerie, et l’évocation à la nature montait,