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LE GRAND SILENCE BLANC

La neige ne tombe plus molle sur la neige molle. Rien ne vibre, rien ne vit que mes bêtes et moi.

Dans le ciel clair, il y a l’errance des étoiles qui parcourent leur cycle immuable.

En face de moi, il n’y a rien que la nature dressant la virginité redoutable et le hérissement de la Banquise. Ceux qui ont cherché la Route sont passés plus à l’est. Garde, ô ma Terre, ton secret de la curiosité des hommes !

Et cependant, ce sont les meilleurs qui sont venus à Toi, les cœurs exaltés qui croyaient servir une idée et les cœurs farouches qui suivaient par simple goût de l’aventure.

Ils s’étaient donnés à Toi et tu t’es donnée à eux, tu les as pris, dans une étreinte irrésistible, sans voir que tu brisais leur vie. Accomplissant le sourd travail de la destinée, tes glaces, qui tenaient leur navire prisonnier, ont resserré leur emprise ; le bois, le fer, l’acier, elles ont tout tordu, tout brisé ; elles ont effacé la preuve de la hardiesse des hommes. Rien n’a subsisté que quelques êtres qui ont erré des jours encore, puis la misère et le découragement, plus sûrement que le froid et la faim, les ont couchés.

La neige a empli les paupières creuses, puis une autre neige encore a nivelé le tout. Et le Grand Nord est rentré dans le silence blanc qui le garde depuis les premiers âges du monde.