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LE GRAND SILENCE BLANC

de Bartholo… c’est Pierrot, peut-être, joué par Arlequin, oui, c’est Pierrot, il est si pâle… Il guette par la croisée celle qui ne vient pas, son oreille écoute les bruits de la rue, mais ce n’est pas le toc-toc du haut talon qui martèle le pavé… S’il fermait les yeux, le malheureux ! il verrait celle qui est toute sa joie dans des bras mercenaires. Il pourrait dire la rue, le numéro, l’étage et s’il écoutait à la porte, il entendrait des phrases toutes faites et bien connues ; s’il tournait le loquet, il la verrait Elle, son Idole, ravalée aux pires caresses.

Et dans le cerveau, la bête promène ses antennes sur tous ces tableaux afin que rien ne reste dans l’ombre.

Tout est précis. Le bruit des baisers, je les perçois ; les beaux regards sombres où brillent deux paillettes d’or, je les vois ; je vois aussi les lèvres comme une fleur rare où la pourpre du soir met un reflet sanglant.

Cette chose qui fut mienne, que j’ai façonnée de mes mains, à laquelle j’ai insufflé mon rêve, cette chose-là gît au ruisseau avec les bassesses humaines.

Pitié ! ne me fais pas voir cela, Bête !

Et la Bête ricane.

La lumière chasse le troupeau des nuages nocturnes et le soleil surgit, dans un éblouissement. J’ai la hantise du soleil, j’ai faim de lui dans ma nuit polaire.