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LE GRAND SILENCE BLANC

péjorative, il le laisse tomber avec une moue un peu méprisante ; heureusement, ce jour-là, je n’étais pas d’humeur trop susceptible…

Je regarde la carrure de cette splendide bête humaine, ce cou court, cette face massive, ces cheveux tondus ras sur le front étroit, ce nez fort, ces lèvres charnues, ce menton volontaire. Certes, ce n’est pas la race grecque que je m’attendais à trouver là, on lit, ouvertement, sur cette physionomie, tout l’entêtement, toute la résolution, toute la brutalité romaine.

Devançant mes questions, il daigne m’éclairer :

— Vous allez me demander si je suis un professeur en rupture de chaire, un prêtre échappé du Séminaire, un savant expulsé de l’Université ; non, rien de tout cela, je suis César Escouffiat tout court, et je suis charretier de mon métier…

Il s’assied à mes côtés, sur la caisse dans laquelle est enfermé le fameux haut-de-forme. Il jouit un instant de ma stupeur et ajoute :

— J’ai été à l’école jusqu’à onze ans. J’ai gardé les porcs jusqu’à quinze ans, j’ai cinquante ans, je suis ici depuis près de dix ans.

Il y a un trou dans les explications de mon brave, ce qu’il fit de quinze à quarante ans, qui le saura jamais ? César Escouffiat a sauté sans transition de son extrême jeunesse à sa maturité.

Timidement, j’ose l’interroger :

— Et vous avez appris le grec ?

— Ici, monsieur, ici, les solitudes du Nord