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LE GRAND SILENCE BLANC

département : trois députés, deux sénateurs, cent quarante francs par mois, mais la paie était aussi irrégulière. Alors j’ai envoyé le Palais-Bourbon au diable, j’ai pris une blouse et je me suis embauché sur un chantier comme ouvrier peintre… oui, peintre… barbouilleur, quoi ! J’ai fait du faux bois dans une banque, j’ai passé au minium les fers à T d’un immeuble sur les boulevards, j’ai couvert d’une couche « ignifuge » les palissades de l’ascenseur du Métropolitain, station Barbès… Je travaillais de mes mains, je gagnais huit francs par jour… j’étais heureux… Hélas ! j’avais une marotte… oui, le microbe littéraire. Je lâchai les brosses pour le porte-plume et j’entrai comme nègre chez un de nos plus sympathiques auteurs qui… que… dont…

J’ai des diplômes aussi, si ça vous intéresse, comme tout le monde… j’en ai gagné que je n’ai même pas. J’ai fait deux thèses de doctorat économique, trois thèses de médecine. J’ai donné ma matière grise pour cinquante centimes la page, c’était bien payé pour un « nègre ».

Et puis, las de courir Paris, le ventre vide, j’ai couru le monde pour changer mes idées…

J’ai pris ma chance, comme nous disons en Amérique, je me suis promené de Rhadamès à Agadir, j’ai vu les oasis du Sud, empanachées de palmes, j’ai couché dans des bordjs et, sous la tente, j’ai écouté, le soir, la chanson du sokar