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LE GRAND SILENCE BLANC

la cendre chaude, car Gregory a l’honorable habitude de chiquer.

Je crois devoir intervenir :

— Vous êtes l’homme le mieux accueilli, dès que les grelots de vos chiens tintent sur le trail ; le cœur est en joie, vous êtes celui qu’on attend, on vous choie, on vous fête…

— Je sais, je sais, mais je ne me fais pas d’illusions, on attend non moi, mais ce que j’apporte.

— C’est la même chose…

— Encore un de vos défauts, garçon, si vous voulez vivre dans ce pays, il faudra vous débarrasser de cette sentimentalité. Du sentiment ici…

Gregory rit d’un rire qui le secoue, il en profite pour faire sauter les beignets.

La poêle remise en place, il continue :

— Ici, il faut un cœur solidement accroché dans une bonne vieille carcasse à toute épreuve, de la volonté, de la force, ou, à défaut, de l’adresse.

Tenez, moi, j’étais fait pour une autre vie : j’ai étudié à l’Université de Berkeley, en Californie, j’ai même des diplômes écrits en latin, avec mon nom en lettres rondes au milieu.

Pourquoi je ne suis pas resté dans ma ville où je serais devenu un lawyer, ni plus ni moins réputé qu’un autre ? Pourquoi ? Parce que les civilisés me dégoûtent.

Je suis parti, un matin, essayer ma chance ;