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égoïste et déréglé, sans pouvoir s’y plaire ni s’y fixer, parce qu’elles n’y sont pas à leur place et dans leur vocation divine : non, elles ne sont pas faites pour le monde, et le monde n’est pas fait pour elles !

Voyons ce que nous dit Saint-Thomas d’Aquin, l’ange de l’École, l’aigle des théologiens :

« Celui qui embrasse la vie religieuse, sans prendre l’avis et le conseil de plusieurs, et sans une longue délibération précédente, fait une chose louable ; il fait une chose louable, soit parce que, selon Saint-Chrysostôme, lorsque le mouvement de la grâce nous pousse et nous incite à suivre Jésus-Christ, il faut marcher promptement et obéir sans délai à cette sainte inspiration ; soit parce que c’est une chose louable de faire, sans conseil, et sans une longue délibération, ce que nous savons certainement être le meilleur et le plus grand des biens. Et comme il est constant et indubitable, que la chose la meilleure est de professer la vie sainte et religieuse, lorsqu’on s’y sent mu et porté par le Saint-Esprit, il est aussi très louable de se renfermer dans un cloître, pour le reste de ses jours, sans prendre conseil de plusieurs et sans une longue délibération ; car la longue délibération et les avis de plusieurs ne sont requis et nécessaires que dans les choses douteuses, et non pas dans les choses qui sont certaines, et de la vérité desquelles on ne peut raisonnablement douter… Quand il est dit chez l’Évangéliste, qu’il faut éprouver quel est l’esprit qui nous pousse, avant que de le suivre, il parle des choses douteuses. Mais, il est constant que celui qui par la grâce se trouve mu à embrasser la vie religieuse, est touché et animé du Saint-Esprit, qui porte les hommes à la sainteté : Que si quelques-uns, après avoir fait une sainte profession de la vie religieuse pendant quelque temps, abandonnent leur poste avantageux, et s’en retirent, il ne s’ensuit pas pour cela que le premier dessein qu’ils ont eu de se cloîtrer, n’ait été un mouvement du Saint-Esprit, quoique le religieux longtemps après change d’esprit et de dessein ; car tout ce qui vient de Dieu n’est pas toujours immuable et incorruptible. — Il est bon que celui qui veut embrasser la vie religieuse, en confère avec quelque personne sage et judicieuse, et non pas avec les hommes du siècle, qui ne sont amis que selon la chair et le monde, et sont capables de s’opposer aux inspirations du Saint-Esprit, et de nous détourner de nos bons desseins… encore ne faut-il pas un grand temps pour délibérer de ces choses, selon Saint-Jérôme. » (Question CLXXXIX, Art. X, La Clé de St-Thomas, par Marandé.)

Après Saint-Thomas, laissons parler Pascal sur l’illusion du monde, sur la fausse opinion qu’il a de la vie religieuse :

« Les conditions les plus aisées à vivre selon le monde, sont les plus difficiles selon Dieu : et au contraire, rien n’est si difficile selon le monde, que la vie religieuse ; rien n’est plus facile que de la passer selon Dieu. Rien n’est plus aisé que d’être dans une grande charge et dans de grands biens selon le monde ; rien n’est plus difficile que d’y vivre selon Dieu, et sans y prendre de part et de goût.» (Pascal, Pensées.)

« Nous conjurons donc celui qui est encore dans l’endurcissement d’écouter avec crainte ce que dit le Sage : N’empêchez pas de bien faire celui qui le peut ; mais plutôt imitez son exemple, si vous le pouvez. L’Esprit de Dieu dit dans l’Écriture, venez : l’Époux appelle son Épouse, et l’Épouse appelle son Époux. Quelqu’un donc osera-t-il dire : ne venez pas !

« Comment celui à qui Notre-Seigneur n’a pas promis de lendemain, ose-t-il différer jusqu’à une autre année sa conversion et sa retraite ? Notre-Seigneur dit dans l’Évangile : Priez pour que votre fuite n’arrive point l’hiver ou le jour du Sabbat. Quelqu’un, après cela, osera-t-il dire à celui qui veut fuir le monde dès aujourd’hui : attendez, vous pourrez, dans deux ou trois années, le fuir et vous retirer avec moi ! »

(Extrait d’une lettre de Bernard,
Premier Prieur de la Chartreuse
des Portes, écrite à deux amis,
pour les exhorter à quitter le monde.)

Ainsi, il est certain que la vie religieuse est plus excellente, plus avantageuse pour faire son salut ; il n’est pas vrai qu’on doive consulter plusieurs, délibérer beaucoup, et attendre longtemps, avant de prendre le meilleur et le plus sûr parti, c’est-à-dire ce-