Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment se sauver qu’en abandonnant tout.

Nous croyons que c’est ici le lieu de parler de deux Vierges américaines, Isabelle et Marianne ; l’une est née à Lima, l’autre à Quito ; l’une surnommée Rose, l’autre Lis; et toutes deux, véritables Fleurs de la passion.

Il est vraiment remarquable et digne des plus sérieuses et salutaires réflexions, que les deux premières Saintes américaines, que nos deux premières sœurs canonisées, Isabelle et Marianne, soient nées, et aient vécu sous un ciel qui rappelle celui des Antilles, dans une contrée où règne un perpétuel printemps, où l’atmosphère est embaumée de tant de parfums enivrants, où les arbres sont chargés de fruits si savoureux, et où tout porte à la mollesse de l’âme et aux plaisirs des sens ; et que ce soit là précisément, qu’elles aient donné l’exemple héroïque des plus effrayantes mortifications, et de la vie la plus austère : à ce point, qu’à peine ont-elles connu le goût des fruits qui mûrissaient autour de leurs cellules, ne se nourrissant que d’aliments amers ou insipides, et macérant leurs frêles corps avec une ingénieuse et inexorable cruauté… Oh ! que sommes-nous, comparés à ces deux héroïnes de la Croix, à ces deux martyres de l’amour ?

Voyons d’abord qui était Sainte-Rose :

« Elle naquit en 1586, et elle mourut le 24 août, 1617. Elle montra, dès ses premières années, une grande patience dans les souffrances, et un amour extraordinaire pour la mortification. Étant encore enfant, elle jeûnait trois jours de la semaine au pain et à l’eau, et ne vivait les autres jours que d’herbes et de racines mal assaisonnées. Elle avait en horreur tout ce qui était capable de la porter à l’orgueil et à la sensualité, et se faisait un instrument de pénitence de toutes les choses qui auraient pu communiquer à son âme le poison des vices. Les éloges qu’on donnait sans cesse à sa beauté, lui faisaient craindre de devenir pour les autres une occasion de chute : aussi, lorsqu’elle devait paraître en public, elle se frottait le visage et les mains avec l’écorce et la poudre du poivre des Indes, qui, par sa qualité corrosive, altérait la fraîcheur de sa peau. Quel sujet de confusion pour les femmes qui ne sont occupées que de parures, et qui tendent des pièges si dangereux à l’innocence ! On admire la sainte cruauté qu’exerçaient contre eux-mêmes Saint-Benoît, Saint-Bernard, Saint-François d’Assise ; leur but était de se fortifier contre les attaques du démon ; mais Rose se punissait elle-même pour préserver les autres du danger.

« Elle pratiqua tout ce que la pénitence a de plus rigoureux. Elle portait sur sa tête un cercle garni en dedans de pointes aiguës, à l’imitation de la couronne d’épines que le Sauveur avait portée. À l’entendre parler d’elle-même, elle n’était qu’une misérable pécheresse, qui ne méritait pas de respirer l’air, de voir la lumière du jour, et de marcher sur la terre ; de là ce zèle à louer la divine miséricorde, dont elle éprouvait si particulièrement les effets. Lorsqu’elle parlait de Dieu, elle était comme hors d’elle-même ; et le feu qui la brûlait intérieurement, rejaillissait jusque sur son visage. Elle fut éprouvée, pendant quinze ans, par de violentes persécutions de la part des personnes du dehors, ainsi que par beaucoup de peines intérieures. Mais Dieu, qui ne permettait ces épreuves que pour perfectionner sa vertu, la soutenait et la consolait par l’onction de sa grâce. » (Godescard.)

« Étant toute jeune encore, elle se plaisait dans la solitude. Un jour, son frère Ferdinand, voyant qu’elle ne rentrait pas, courut à sa recherche, et lui demanda comment elle pouvait préférer cette solitude aux jeux innocents de ses petites amies. « C’est, lui répondit-elle, avec une sagesse au-dessus de son âge, que Dieu est ici avec moi, et que je ne suis pas sûre de le trouver également parmi les poupées. »

« Cet amour de la solitude croissait en elle à mesure qu’elle avançait en âge ; mais, sentant bien que Dieu ne l’appelait pas au désert, elle cherchait un moyen de vivre en ermite dans la maison paternelle. Se promenant un jour dans le jardin, une allée de platanes, qui