Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

platifs, se livre à quelques réflexions pieuses et philosophiques :

« C’est-ici, dit-il, que Saint-Bruno mit un terme à sa course ; ici, il se crut assez loin du monde pour n’en être pas importuné ; ici, il espéra vainement en être oublié. La tranquille majesté de ces lieux se trouva en harmonie avec la candeur de son âme ; il se sentit la douce liberté de bien faire selon le vœu de sa conscience, de vivre heureux sans encourir le blâme et la folle dérision des hommes ; il put dédaigner leur malice hypocrite, leurs jugements iniques, leur cruelle ingratitude, leur envieux dénigrement ; il fut à l’abri de leurs perfidies, de leurs sarcasmes, de leurs vengeances ; il perdit de vue le spectable affligeant de leurs misérables passions. Bientôt, il vit accourir auprès de lui tous ceux, qui, détrompés du monde, obéissant à une sainte horreur, purent briser des liens, trop souvent indissolubles. Il leur tendit les bras, sécha leurs larmes ; et ces lieux devinrent la demeure de tous ceux pour qui la paix de l’âme est le premier des biens. »

Et un Anglais, sans doute protestant, a écrit les vers suivants dans l’album de ces heureux Solitaires :


Thus, let me live, unseen, unknown,
Thus, unlamented, let me die ;
…………And not a stone
      Tell where I lie !


(P. JONSTON.)

Nous avons prouvé suffisamment l’importance et la nécessité de ces maisons de retraite pour les âmes contemplatives. Examinons maintenant une objection que nous avons souvent entendu faire, et que l’on fera sans doute encore : comment les Ordres Contemplatifs pourront-ils s’établir ? Obligés à garder la solitude, quels seront leurs moyens de subsister ? Oublie-t-on combien la foi est faible aujourd’hui, la libéralité des fidèles restreinte, leurs aumônes parcimonieuses ; combien ils comprennent peu ces ordres, et sont opposés à une vie inactive et retirée ? Le temps n’est plus des magnifiques et nombreuses offrandes de la piété !

À cette objection spécieuse, à ce langage plus mondain qu’évangélique, nous pourrions ne faire que cette réponse péremptoire : Dieu est aujourd’hui, comme autrefois, le maître de tous les cœurs et de toutes les bourses ; il les ouvre ou les ferme à son gré ; il dispose de tout, parce que tout lui appartient : comment donc laisserait-t-il dans la détresse ses créatures d’élite ? Mais nous rappellerons un fait historique, qui réfute cette objection :

« Tous les Saints fondateurs d’Ordres ont commencé par un entier abandon à la divine Providence, et dans une extrême pauvreté ; ils ont ainsi commencé, quoique, dans la suite des temps, leurs maisons dussent être rentées, conformément à leur institut.

« Saint-Étienne de Grandmont était si admirable, que non seulement il voulait que les maisons de son Ordre fussent sans revenus ; mais il les plaçait dans des lieux solitaires, pour être plus dans l’oubli des créatures, et plus dans la seule dépendance de Dieu seul.

« Saint-François d’Assise vivait dans un si grand dénuement de toutes les choses de la terre, qu’il avait de la peine à supporter qu’il y eût au monde une seule personne plus pauvre que lui, et qu’il le disputait en cela avec les plus mendiants et les plus malheureux de la terre. Saint-Dominique, n’étant encore qu’Archidiacre d’Osme, entra dans un si parfait dépouillement, et un si grand abandon à la divine providence, qu’il se défit même de ses livres pour les donner aux pauvres, ne se réservant rien du tout. Devenu fondateur d’ordre, il eut le même esprit. Quelle pauvreté plus rigoureuse, quel abandon plus entier à la divine providence, que l’état où s’est trouvée la séraphique Sainte-Thérèse, et ses premières religieuses ?

« Il serait bien difficile de dire toutes les contradictions qu’à souffertes Sainte-Claire au sujet de son parfait abandon à la divine providence. Il est vrai que son procédé était une conduite bien éloignée de la sagesse des prudents, qui n’agissent que par leurs raisonnements, ou en philosophes. Elle avait vendu tous ses biens pour les donner, et vivre dans une rigoureuse pauvreté. Les hommes y trouvaient bien à redire ; mais ce qu’ils concevaient le moins, c’é-