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timent de la pudeur et que l’on faisait progresser l’humanité ? Luther donnait-il par là une généreuse impulsion aux générations futures, de l’essor à l’esprit humain, de la vigueur et de l’éclat à la culture et à la civilisation ? Quel est l’homme au cœur délicat et sensible qui pourra supporter les déclamations déhontées de Luther, surtout s’il a lu les pages des Cyprien, des Ambroise, des Jérôme, et des autres flambeaux de l’Église catholique, sur le sublime honneur d’une vierge chrétienne ? Qui trouvera mauvais de rencontrer, dans ces siècles où la barbarie la plus féroce régnait sans frein, ces demeures solitaires où les épouses du Seigneur s’abritaient contre la corruption du monde, incessamment occupées d’élever leurs mains au ciel, pour en faire descendre sur la terre la rosée de la divine miséricorde ? Et dans les temps, dans les pays les plus civilisés, quel est donc le fâcheux contraste que l’on pourra trouver entre l’asile de la vertu la plus pure, la plus sublime, et un océan de dissipation et de libertinage ? Ces demeures étaient-elles aussi un legs funeste de l’ignorance, un monument de fanatisme, dont il était digne des coryphées de la Réforme de débarrasser la terre ? Ah ! s’il en est ainsi, protestons contre tout ce qu’il y a d’intéressant et de beau, étouffons dans notre cœur tout enthousiasme pour la vertu ; le monde est tout entier dans le cercle des sensations les plus grossières ; que le peintre jette son pinceau, le poète sa lyre ; oublions notre grandeur et notre dignité ; plongeons-nous dans l’abrutissement, en répétant : mangeons et buvons, car nous mourrons demain !

« Non, la vraie civilisation ne pardonnera jamais au protestantisme cette œuvre immorale et impie ; la vraie civilisation ne pourra lui pardonner d’avoir violé le sanctuaire de la pudeur et de l’innocence, d’avoir employé toutes ses forces à faire disparaître le respect pour la virginité, foulant ainsi aux pieds un dogme professé par tout le genre humain. Il n’a point respecté ce que les Grecs vénéraient dans leurs prêtresse de Cérès, les Romains dans leurs vestales, les Gaulois dans leurs druidesses, les Germains dans leurs devineresses. Il a porté l’impudeur plus loin que ne le firent jamais les peuples dissolus de l’Asie et les barbares du Nouveau Continent. C’est certainement une honte pour l’Europe d’avoir attaqué ce qui a été respecté dans toutes les parties du monde, d’avoir traité de préjugé méprisable une croyance universelle du genre humain, sanctionnée d’ailleurs par le christianisme. Où a-t-on vu une irruption de Barbares comparable à ce débordement du protestantisme contre ce qu’il doit y avoir de plus inviolable parmi les hommes ? Que l’on voie, au milieu des fureurs d’une guerre, la barbarie des vainqueurs ôter tout frein à une soldatesque brutale, la déchaîner contre les demeures des vierges consacrées au Seigneur, c’est là une chose qui peut se concevoir. Mais qu’on persécute ces saintes institutions par système, qu’on excite contre elles les passions de la populace, en attaquant grossièrement ces pieux instituts dans leur origine et dans leur objet, cela est plus que brutal et inhumain. C’est une chose qu’on ne peut plus qualifier, lorsque ceux-là mêmes qui s’en rendent coupables se vantent d’être des réformateurs, des sectateurs de l’Évangile pur, et se proclament les disciples de Celui qui, dans ses sublimes conseils, a signalé la virginité comme l’une des plus belles vertus qui puissent orner la couronne du chrétien. Or, qui ignore que ce fut là une des œuvres auxquelles le protestantisme s’attacha avec le plus d’ardeur. La femme sans pudeur offrira un appât à la sensualité, mais n’attirera jamais l’âme par le mystérieux sentiment qu’on appelle l’amour. Chose remarquable ! Le désir le plus impérieux du cœur de la femme est celui de plaire ; mais aussitôt qu’elle oublie la pudeur, elle déplaît et repousse ; ainsi, il est sagement ordonné que ce qui blesse le plus vivement son cœur sera le châtiment de sa faute. C’est pourquoi, tout ce qui contribue à relever dans les femmes ce sentiment délicat de la pudeur les relève elles-mêmes, les embellit, leur assure un plus grand ascendant sur le cœur des hommes, et leur marque une place plus distinguée dans l’ordre social. Ces vérités ne furent pas comprises du protestantisme, lorsqu’il condamna la virginité. Sans doute, cette vertu n’est pas une condition nécessaire pour la pudeur ; mais elle en est le beau idéal et le type de perfection ; et certainement on ne pouvait faire disparaître ce modèle, en nier la beauté, en condamner l’imitation comme nuisible, sans porter une grave atteinte à la pudeur elle-même, qui, continuellement en lutte contre la passion la plus puissante du cœur humain, ne se conserve que difficilement dans sa pureté, si elle