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APOLOGIE DE LA VIE SOLITAIRE ET CONTEMPLATIVE

donc pas faire peu d’estime de ceux que Dieu nourrit d’une viande intérieure et divine, en les tenant séparés des hommes. Et quoiqu’ils soient considérés comme des hommes inconnus, et qu’ils semblent être, dans l’Église, les moins utiles de tous les fidèles, quant à ce qui regarde les œuvres extérieures, il est néanmoins certain qu’ils la servent en plusieurs importantes manières. Ils lui procurent, par leurs continuelles prières, de la nourriture et de la vigueur. Ils la défendent des tentations. Ils obtiennent des grâces pour les pécheurs. Ils enseignent puissamment par leurs exemples, qu’on doit mépriser les choses temporelles. Et s’ils les méprisent, ces choses temporelles, s’ils évitent les conversations du monde, s’ils vivent dans l’éloignement du commerce et des prétentions de cette vie, ce n’est pas par aucune lâcheté ou bassesse de cœur, mais seulement par le désir noble et généreux qu’ils ont de posséder Dieu. C’est pourquoi le prophète dit, au nom de chacun de ces heureux solitaires : Je me suis éloigné en fuyant, et j’ai demeuré dans la solitude. J’ai attendu celui qui m’a délivré de la faiblesse d’esprit, et de la tempête du monde. (Ps. 54 v. 8 et 9.) La fuite de ces généreux solitaires est donc infiniment digne de respect, puisque c’est en fuyant ainsi qu’ils se détournent des choses nuisibles, qu’ils préviennent les périls, qu’ils évitent les causes et les occasions du péché, qu’ils désirent les biens éternels, et qu’ils entretiennent en eux une sainte ardeur de s’attacher inséparablement à Dieu.

« C’est pour cela qu’ils vont dans les lieux les plus cachés de la solitude afin qu’en s’y occupant de Dieu avec une pleine liberté, ils soient en sûreté, par la protection divine, contre tous les troubles et toutes les agitations de cette vie.

« Il faut donc persévérer dans la solitude avec assurance, avec tranquillité, et dans la plus grande joie de l’esprit. Il ne faut point craindre la condamnation des méchants, ni s’épouvanter des artifices et des attaques des démons. C’est pourquoi, souhaitant de donner à ceux qui font profession de la solitude tous les secours que je puis, pour les aider à obtenir le bonheur qu’ils se promettent, je me propose, avec la grâce de Notre-Seigneur, de faire un traité de la vie solitaire. J’ai pour but de les instruire, de les exhorter, de contribuer à leur consolation et à leur joie. Mais mon ignorance, ne pouvant me fournir les choses qui me sont nécessaires pour bien faire cet ouvrage, abaissant mon cœur devant Dieu, je demande, avec toute l’humilité dont je suis capable, que la sagesse divine daigne répandre sa lumière dans mon âme, quelque indigne que j’en sois, afin que je travaille pour sa gloire et pour l’utilité de ses serviteurs. Que cette même sagesse m’accorde de ne pas abandonner les sentiers de la vérité, et de ne pas cacher, par le silence, les connaissances qu’elle m’aura communiquées, et les sentimens qu’elle m’aura donnés. Verbe éternel, ouvrez-moi donc la divine source de votre sagesse. Je vous conjure, par votre bonté, de répandre dans le cœur du moindre de vos serviteurs, la grâce et l’intelligence spirituelle, afin que je sois capable de découvrir et d’expliquer les mystères et les secrets de la vie solitaire, et que je puisse faire connaître les grâces que vous attachez à ce genre de vie et qui sont si cachées au commun des hommes. »

Enfin, vers le milieu du xviiie siècle, Besombes de saint Geniès, publia son Transitus animæ revertentis ad jugum sanctum Christi Jesu, ouvrage que plusieurs préfèrent à l’Imitation de Jésus-Christ, et qui a été traduit en français sous le titre de Sentiments d’une âme revenue des erreurs de la philosophie moderne. Ce pieux auteur ascétique, après avoir fait les plus grands éloges de la vie cénobitique et de la vie solitaire, s’écrie, dans sa douleur et son étonnement :

« Heu ! quomodo in fæce seculorum obscuratum est aurum inter christianos, vileque adeo nune reputatur tam sanctum, tam venerabile nomen ? Quo sit ut nulli jam vel rarissimi sint cænobitieæ et Solitariæ vitæ laudatores, detractores tam multi ? »

« Hélas ! par quel malheur est-il arrivé dans ce triste siècle, que cet or si pur, et autrefois si recherché, a perdu jusqu’à sa couleur et son éclat aux yeux des chrétiens de nos jours ? Comment un nom, si saint et si respectable en lui-même, est-il tombé dans le mépris ? pourquoi se trouve-t-il aujourd’hui si peu de personnes qui louent la vie cénobitique et la vie solitaire, et qu’il y en a un si grand nombre qui s’efforcent de la décréditer, et qui, s’ils le pouvaient, l’a-