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APOLOGIE DE LA VIE SOLITAIRE ET CONTEMPLATIVE


et décriée, comme dans les siècles précédents. Saint Laurent Justinien, premier patriarche de Venise, que le pape Eugène iv appelait l’ornement de l’épiscopat, saint Laurent, à l’imitation de saint Jean Chrysostôme, prend la plume et écrit son Traité de la Vie Solitaire. Nous avons cherché en vain un exemplaire de ce Traité en latin ; n’ayant pu le trouver, nous sommes obligés de nous contenter d’une traduction qui se trouve dans le second volume de la Solitude chrétienne. C’est la Préface de saint Laurent à son Traité de la Solitude que nous donnons ici :

« Nous croyons pouvoir blâmer avec raison la hardiesse et le peu de retenue de quelques personnes qui osent entreprendre de condamner la vie de ceux qui se sont retirés dans la solitude, parce qu’elles s’imaginent qu’ils sont tout à fait inutiles, et que d’ailleurs on ne les voit jamais paraître dans le monde, ni s’engager, comme le reste des hommes, dans les embarras et les soins des affaires temporelles.

« À qui dirai-je que ressemblent ces personnes, si hardies et si promptes à condamner ainsi ce qu’elles ignorent, sinon à des aveugles qui, étant privés de l’usage de la lumière, s’efforceraient par des discours entièrement dépourvus de sagesse et de raison, de trouver à reprendre dans tout ce que font les hommes qui sont doués d’une excellente vue ; et qui se moqueraient de ceux qui peuvent marcher sans avoir besoin d’un guide ? Hélas ! si ces personnes avaient la connaissance de ce qui regarde en elles l’homme intérieur, elles sauraient combien la vie solitaire est excellente ; combien elle est belle en elle-même ; combien elle est sûre ; combien elle établit dans la joie et le repos ! Mais ne se connaissant pas elles-mêmes, faut-il s’étonner si elles ne peuvent pénétrer les mystères d’un genre de vie dont elles sont si éloignées. Et voilà pourquoi elles le méprisent ; voilà pourquoi elles ne veulent point le suivre, et ne craignent point de le déchirer par leurs médisances. Et elles sont dans ces dispositions à l’égard de la solitude, (quoiqu’elles sachent qu’elle ait été approuvée et justifiée par la vie et l’autorité des Saints) parce qu’elles ne se sentent pas capables d’atteindre à la perfection de cet état. Elles louent seulement ce qui leur est agréable, et ce qui flatte leurs sens. Et elles aiment tellement les choses qui sont conformes et favorables à leurs intentions et à leurs désirs, qu’elles ne se lassent jamais d’en faire des louanges. Elles ont en mépris et en aversion toutes les conditions, excepté la leur. Que ces hommes, qui sont assez hardis pour déchirer par leurs médisances une conduite qui est différente de la leur, se souviennent que la robe de notre Seigneur a été sans couture, et toute d’un seul tissu. Qu’ils se souviennent, que toute la gloire et toute la magnificence de l’Église, qui est cette fille du Roi, dont parle le Prophète, vient principalement du dedans, et qu’elle est intérieure et spirituelle. Cette variété d’enrichissements et cette diversité d’étoffes et de couleurs que le Prophète représente dans l’habillement de cette fille du Roi, nous figure de quelle manière l’esprit se multiplie et se communique différemment dans la diversité des états et des conditions des hommes. Notre Seigneur, qui connaît la nature, le tempérament et les diverses inclinations de ses élus, a établi pour eux dans son Église divers degrés et divers ordres, afin de donner à chacun ce qui lui serait le plus convenable, et d’unir ensemble tous les membres de son corps, dans cette diversité d’états où ils sont, par cet amour saint qui leur fait garder une merveilleuse uniformité, et une invariable unité d’intention et de fin.

« Que ceux donc qui ne veulent pas embrasser la vie solitaire, cessent de détruire cette unité sainte, et de déchirer la robe de l’Épouse de Jésus-Christ, cette robe si précieuse et si éclatante, non seulement à cause de l’or dont elle est couverte, mais encore par la variété de ses enrichissements et de ses couleurs. Cet or signifie la charité ; cette variété d’enrichissements figure la diversité des conditions des fidèles. Ils doivent donc rester unis par la religion et la piété, quoi qu’ils servent différemment Jésus-Christ, le Roi immortel de tous les siècles.

« Nous devons croire que ces personnes retirées et solitaires sont visitées de Dieu plus que les autres par des consolations spirituelles, puisque l’amour qu’elles ont pour Dieu leur a fait abandonner les consolations humaines. On ne doit