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« les autres âmes auxquelles vous êtes faites pour vous unir, et qui semblez condamnées à une sorte de virginité morale ou de veuvage éternel ;

« Batton cuori quaggiù che niun gl’intende,
…………………………… Dannati
A errar vedovi sempre ; una non trovano
Una che lor risponda anima sola »

« âmes solitaires pour qui surtout la religion a élevé ses retraites, » afin de vous mettre à couvert de la contagion et des injures du monde, comme ces plantes rares et précieuses d’un autre climat que l’on abrite et cultive avec soin dans une serre à part.

C’est à vous, natures sensitives et délicates, organisations supérieures et intuitives, caractères rêveurs et mélancoliques, cœurs profonds et scellés, dont Dieu seul pénètre le mystère d’amour et d’intelligence ; c’est à vous qui ne pouvez pas sympathiser et vous mettre à l’unisson avec une société froide et prosaïque, égoïste et dure ; vous qui aspirez avec ardeur au repos et à l’isolement ; qui avez besoin d’habiter en vous-mêmes, et de vous nourrir en secret de vos larmes mystérieuses ; vous que Dieu a créées pour vivre d’une vie tranquille et contemplative, d’une vie de prière et d’étude ; et qui cherchez en vain dans le monde l’aliment spirituel, la rosée de lumière, l’atmosphère céleste qu’il vous faut, dans votre mystique et virginale exaltation ; vous qui êtes comme ces fleurs inaccessibles, filles immaculées de la neige, auxquelles il faut l’air subtil des plus hautes montagnes, et qui ne peuvent bien croître et s’épanouir avec éclat que dans une atmosphère où les vapeurs méphitiques de la terre et les exhalaisons des marais n’arrivent plus que purifiées par un fluide éthérée.

A starry diadem their heads infold,

And purest robes of dazzling light invest.
Marsden

Oh thou inspher’d, unearthly loveliness !
Dangers may gather round thee, like the clouds
Round one of heav’n’s pure stars ; thou’lt hold

Thy course unsully’d !
Milman

C’est à vous, âmes actives et passionnées, natures inquiètes et orageuses, vous qui êtes fatiguées du monde, de ses vains honneurs, de ses tristes plaisirs et de toutes les fades jouissances de la fortune ; vous qui êtes désabusées des nobles et enivrantes illusions de l’amitié et de l’amour, des rêves attrayants et sublimes de la gloire et de la science humaines ; vous qui avez tout possédé, joui de tout, et tout épuisé, — et qui avez enfin reconnu avec le Sage inspiré, que tout n’est que vanité et affliction d’esprit.

C’est à vous, hommes et femmes réfléchis, qui, instruits par le malheur des autres et par votre propre malheur, effrayés des nombreux naufrages qui signalent chaque jour les dangers d’une navigation pénible, et fatigués des agitations sans repos de la haute mer du monde, rêvez de jeter l’ancre dans le port tranquille de la solitude, et d’y vivre désormais à l’abri de l’orage et des écueils.

C’est à vous qui avez appris, par une triste, et amère expérience, que tout