Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voie, y travaillant avec fidélité et amour. Laissons les autres paisibles dans la leur, et faisons grande estime de leur grâce ; demeurons aussi dans la nôtre, dont nous ne devons parler qu’à ceux qui la connaissent par expérience ou qui sont en état d’en juger.

« Le Solitaire, destiné à la contemplation doit se détacher de la rue des créatures, fuir les discours, les nouvelles et les réflexions sur les affaires du monde, s’il n’est contraint de s’y appliquer par nécessité ou par charité ; car il faut peu de chose pour obscurcir son âme, et pour l’empêcher de s’élever à Dieu par la contemplation. Enfin il faut une profonde pureté de vertu au contemplatif, qu’il ne peut avoir que par une fidélité exacte à la mortification des mouvements de la nature, ce qui n’est pas un petit martyre. » (Bernières-Louvigny.)

Après l’homme intérieur écoute la femme séraphique :

« Dieu envoie plus de croix aux contemplatifs, parce qu’il les aime spécialement ; car c’est une rêverie de penser que Notre-Seigneur reçoive quelqu’un en son amitié sans peine. Le Fils de Dieu même m’a révélé, que son Père envoyait de plus grands travaux à ceux qu’il aimait davantage… L’âme souffre tant de peine pour arriver au mariage divin, que si elle les savait elle aurait bien de la difficulté à s’y résoudre… Les croix des contemplatifs surpassent toutes les peines de la vie active, et elles sont si grandes, qu’on peut les appeler intolérables. »

Écoute encore un de tes plus grands Maîtres dans la science mystique :

« Verum consuetissimum, quo Deus in his sensus purgationibus uti solet, remedium sunt insectationes hominum ; cum reperire vix sit animam cotemplativam, quæ dolorosum hoc spinetum vel magis, vel minus non transierit : et ratio, si a vero non aberrem, in eo sita est, quod, sicut omnes nostræ existimationis, et proprii honoris æmulatores sumus, ita et omnes indigeamus violenter ab his abstrahi per murmurationes, calumnias, imposturas, despicientias, ludibria et contumeliosas obtrectaliones, ut uniri possimuscum illo, qui amore nostri ipse hominum opprobrium fecit… Quandoque Deus permittit ut tales, ac graviores etiam detractiones per totam civitatem spargantur, ut innocens Dei servus etiam publice diffametur, ac tandem totius populi fabula fiat : prout pluribus personis in purgationis annis contingere videmus. Per haec adminicula disponit Deus infinita cum sapientia, ut tales mundo, a quo se ludibrio habitos conspiciunt, tergum penitus vertant ; nec ullam amplius curam gerant proprii honoris, quem absque ulla ratione tantopere conculcatum vident

« Omnium maxima, qua Deus animas purgat, insectatio illa est, quæ vel a domesticis, vel a Dei servis proficiscitur. Insectationes domesticorum vivaciter persentiuntur duplici ex causa : primo, quia fragili nostræ naturæ nimium arduum accidit, eos nostri insectatores videre et experiri, qui nos defendere et amare tenerentur : secundo, quia hos nobis semper prœsentes habemus, unde et crucem continuo nos opprimentem constituunt… Si contradictiones autem a Directoribus, sacris arbitris, aut superioribus proveniant, quasi intolerabiles redduntur ; tanlœ sunt angustiœ, in quibus anima sancta reponitur ; dum eios ipsos sibi contrarios experitur, quos Dei loco suspicit, et sincero filiæ amore diligit. » (Directorium Mysticum, auctore Joané Bapt. Scaramello, Tr. v. Cap. XII p. 488, 492, 493.)

Écoute enfin un pieux ascétique du beau pays de l’Armorique, où la foi est si vive, et l’amour divin enraciné dans les cœurs comme les vieux chênes dans le sol granitique :

« Il y a une solitude du cœur vraiment sublime, c’est lorsque Dieu attire lui-même l’âme à cette solitude intérieure qu’on peut appeler le jardin secret du céleste Époux. Elle n’agit presque plus, mais Dieu agit en elle : elle garde le silence, et Dieu lui parle ; un sentiment exquis dont elle est pénétrée fait tout son langage. C’est l’époux lui-même qui la retient dans son jardin de délices : il lui donne le lait, le miel, le vin, et la fait assœir à une table de lumière et d’amour.

« Vous savez qu’il est dit que Jésus, ce divin amant, conduit l’âme à l’écart dans la solitude, pour se familiariser avec elle, et lui communiquer ses délices. Quelle est cette solitude ? Je vous réponds que c’est l’abjection. La vraie solitude est un lieu où rien ne se trouve que celui qui y demeure. Or la sainte abjection est un lieu si éloigné des créatures, que tout le monde la fuit et l’abhorre. C’est pourquoi le céleste Époux conduit l’âme qu’il