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CHAPITRE ONZIÈME.

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DE LA SOLITUDE, DE SON EXCELLENCE ET DE SES AVANTAGES.



Hélas ! que le monde est aveugle ! qu’il est coupable et malheureux ! qu’il est injuste et cruel dans ses jugements !

« Le temps n’est plus, dit le philosophe Zimmerman, où l’on attachait tant de prix à la vie contemplative, et où chacun croyait se rapprocher du ciel en s’éloignant du monde. »

Comment persuader au monde qu’une vie solitaire est une vie angélique ? Le monde ne peut comprendre ce que l’amour divin inspire ; l’amour divin est un mystère pour lui. — Ce que le monde comprend, c’est l’égoïsme, c’est le calcul qui ramène tout à soi, c’est le petit cercle des intérêts privés, c’est cet affreux esprit de bien-être personnel : — Nobles pensées, élans généreux, héroïques inspirations, vie sublime et divine, tout cela est scandale, tout cela est folie et mystère pour lui !

Ô monde, Jésus-Christ te connaissait, et il t’a maudit : — tu n’as pas changé ! Tu peux paraître séduisant aux yeux de l’insensé, mais tu ne nous tromperas pas, et nous mépriserons tes plaisirs et tes honneurs !

Ô monde, tu es si peu mystique, si positif et occupé de la matière, tu es si froidement intéressé, que tu taxes d’exaltation et de rêverie tout ce qui sort de la voie ordinaire et spacieuse ; tu ne peux comprendre et admirer l’esprit de sacrifice et d’héroïsme ; tu ne peux comprendre et tu ne comprendras jamais l’amour divin qui enivre d’une sainte ivresse, et qui rend fou de la folie de la croix ; l’amour qui nous fait trouver de la volupté dans la souffrance, et de la douceur dans l’amertume !

Les grandes passions sont solitaires, a dit Chateaubriand : mais les plus grandes passions sont les passions divines ; elles sont donc les plus solitaires ; elles veulent être seules avec leur objet seul, — avec Dieu seul ! Et voilà pourquoi tant d’âmes, divinement passionnées, ont fui le monde, le bruit, la foule, et ont recherché le désert, le silence et la solitude. Une grande passion absorbe toutes nos facultés ; elle nous ravit aux autres et à nous-mêmes, pour nous transformer, pour nous perdre heureusement en l’ob-