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à Satan et à ses pompes. Remarquez quelles sont ces pompes. Satan n’en a point de distinguées de celles du siècle. Les pompes du siècle, qu’on est tenté de croire innocentes, sont donc, selon vous-mêmes, celles de Satan, et vous avez promis de les délester. Cette promesse si solennelle, qui vous a introduit dans la société des fidèles, ne sera-t-elle qu’une comédie et une dérision sacrilège ? Le renoncement au monde et la détestation de ses vanités, est donc essentielle au salut de chaque chrétien. Celui qui quitte le monde, qu’y ajoute-t-il ? il s’éloigne de son ennemi, il détourne les yeux pour ne pas voir ce qu’il abhorre, il se lasse d’être aux prises avec cet ennemi, ne pouvant jamais faire ni trêve ni paix. Est-ce là un grand sacrifice ? n’est-ce pas plutôt un grand soulagement, une sûreté douce, une paix qu’on devrait chercher pour soi-même, dès qu’on désire d’être chrétien, et n’aimer pas ce que Dieu condamne ? Quand on ne veut point aimer Dieu, quand on ne veut aimer que ses passions, et s’y livrer sans Religion par ce désespoir dont parle saint Paul, je ne m’étonne pas qu’on aime le monde et qu’on le cherche : mais quand on croit la Religion, quand on désire de s’y attacher, quand on craint la justice de Dieu, quand on se craint soi-même, et qu’on se défie de sa propre fragilité, peut-on craindre de quitter le monde ? Dès qu’on veut faire son salut, n’y a-t-il pas plus de sûreté, plus du facilité, de secours, de consolation dans la solitude ? Laissons donc pour un moment toutes les vues d’une perfection sublime, ne parlons que d’amour de son salut, que d’intérêt propre, que de douceur, et de paix dès cette vie. Où sera-t-il, cet intérêt même temporel, pour une âme qui toute religion n’est pas éteinte ? Où sera-t-elle cette paix, sinon loin d’une mer si orageuse, qui ne fait voir partout qu’écueils et naufrages ? Où sera-t-elle, sinon loin des objets qui enflamment les désirs, qui irritent les passions, qui empoisonnent les cœurs les plus innocents, qui réveillent tout ce qu’il y a de plus malin dans l’homme, qui ébranlent les âmes les plus fermes et les plus droites ? Hélas, je vois tomber les plus hauts Cèdres du Liban, et je courrai au devant du péril, et je craindrai de me mettre à l’abri de la tempête ? N’est-ce pas être ennemi de soi-même, rejeter le salut et la paix, en un mot aimer sa perte, et la chercher dans un trouble continuel ?

Après cela faut-il s’étonner si saint Paul exhorte les Vierges à demeurer libres, n’ayant d’autre Époux que l’Époux céleste. Il ne dit pas, c’est afin que vous soyez dans une oraison plus éminente : il dit, afin que vous ne soyez point dans un malheureux partage entre Jésus-Christ et un époux mortel ; entre les exercices de la Religion, et les soins, dont on ne peut se garantir, quand on est dans l’esclavage du siècle. C’est afin que vous puissiez prier sans empêchement. C’est que vous auriez, dit-il, dans le mariage les tribulations de la chair, et je voudrais vous les épargner ; c’est, dit-il encore, que je voudrais vous voir dégagées de tout embarras. À la vérité ce n’est pas un précepte, car cette parole, comme Jésus-Christ le dit dans l’Évangile, ne peut être comprise de tous. Mais heureux, je dis heureux même dès cette vie, ceux à qui il est donné de la comprendre, de la goûter et de la suivre ! Ce n’est pas un précepte, mais un conseil de l’Apôtre plein de l’esprit de Dieu. C’est un conseil que tous n’ont pas le courage de suivre ; mais qu’il donne à tous en général, afin qu’il soit suivi de ceux, à qui Dieu mettra au cœur le goût et la force de le pratiquer. Ô affreuses tribulations du mariage, qu’il est doux de vous fuir dans la solitude. Ô sainte virginité, heureuses les chastes colombes qui sur les ailes du divin amour vont chercher vos délices dans le désert ? Ô âmes choisies et bien-aimées, à qui il est donné de vivre indépendantes de la chair ! Elles ont un Époux qui ne peut mourir, en qui elles ne verront jamais aucune ombre d’imperfection, qui les aime, qui les rend heureuses par son amour. Elles n’ont rien à craindre que de ne l’aimer pas assez, ou d’aimer ce qu’il n’aime pas. Oh ! si je pouvais traîner le monde entier dans les cloîtres et les solitudes, j’arracherais de sa bouche un aveu de sa misère et de son désespoir. » (Fénélon, entretien sur les avantages de la vie religieuse.)|85}}

Depuis Saint-Paul jusqu’à Fénélon, et depuis Fénélon jusqu’aux apôtres contemporains, des voix éloquentes n’ont cessé de louer, de recommander et de persuader la pratique des Conseils Évangéliques. Les conciles et tous les plus grands Docteurs ont parlé dans le même sens : le 1er concile de Milan dit « qu’il faut exhorter les peuples