« me retire du milieu d’eux : Et dere- linquam populum meum, et recedam ab eis. (Jer. IX. 5.) Chacun se rit de son frère : Vir fratrem suum deridebit. Qu’est-ce qu’on fait dans le monde, que de se moquer les uns des autres, que chercher tous les moyens de se tromper, de se nuire réciproquement, de se supplanter ? Habitatio tua in medio doli. (Ibidem, 6.) Il n’y a plus de saint sur la terre ; on ne sait plus à qui se fier : Periit sanctus de terra (Mich. VII. 2.)
« Dans cet état de choses, celui qui veut sincèrement penser à son salut et entrer dans la pénitence, ne doit-il pas se réfugier dans la solitude, et chercher son appui en Dieu seul ? Ego autem ad Dominum aspiciam… ; audiet me Deus meus. (Ibidem. 7.) Plus il se séparera des créatures, plus il trouvera des consolations avec Dieu dans la retraite ; et au défaut des secours humains, les anges mêmes lui seront envoyés pour le servir : Et angeli ministrabant illi. (Marc. I.13.) » Bossuet, Pensées chrétienne et morales.)
Après le cri sauvage de l’Aigle, écoutons le chant non moins sauvage du Cygne, l’un et l’autre d’accord avec la vérité, et fidèles échos de tant d’autres voix harmonieusement sauvages :
« C’est une pitoyable erreur, que de s’imaginer qu’on sacrifie beaucoup à Dieu, quand on quitte le monde pour lui ; c’est renoncer à une illusion pernicieuse, c’est renoncer à de vrais maux déguisés sous une vaine apparence de bien. Perd-on un appui quand on jette un roseau fêlé, qui loin de nous soutenir, nous percerait la main si nous voulions nous y appuyer ? Faut-il bien du courage pour s’enfuir d’une maison qui tombe en ruine, et qui nous écraserait dans sa chute ? Que quitte-t-on en quittant le monde ? Ce que quitte celui, qui à son réveil sort d’un songe plein d’inquiétude… Je ne veux que le monde pour apprendre aux hommes, combien le monde est digne de mépris. Mais pendant que les enfants du siècle parlent ainsi, quel est le langage de ceux qui doivent être les enfants de Dieu ? Hélas ! ils conservent une estime et une admiration secrète pour les choses les plus vaines, que le monde même, tout vain qu’il est, ne peut s’empêcher de mépriser. Ô mon Dieu ! arrachez, arrachez du cœur de vos enfants cette erreur maudite : j’en ai vu, même de bons et de sincères dans leur piété, qui faute d’expérience étaient éblouis d’un éclat grossier ; ils étaient étonnés de voir des gens avancés dans les honneurs du siècle leur dire : nous ne sommes pas heureux ! Cette vérité leur était nouvelle, comme si l’Évangile ne la leur avait pas révélée ; comme si leur renoncement au monde n’avait pas dû être fondé sur une pleine et constante persuasion de sa vanité. Ô mon Dieu, le monde, par le langage même de ses passions, rend témoignage à la vérité de votre Évangile, qui dit : malheur au monde ! Et vos enfants ne rougissent point de montrer, que le monde a encore pour eux quelque chose de doux et d’agréable.
« Le monde est le royaume de Satan : et les ténèbres du péché couvrent cette région de mort. Malheur au monde à cause de ses scandales ! Hélas ! les justes même sont ébranlés ! Ô qu’elle est redoutable cette puissance de ténèbres, qui aveugle les plus clairvoyans ; c’est une puissance d’enchanter les esprits, de les séduire, de leur ôter la vérité, même après qu’ils l’ont crue, sentie et aimée. Ô puissance terrible, qui répand l’erreur, qui fait qu’on ne voit plus ce que l’on voyait, qu’on craint de le revoir, et qu’on se complaît dans les ténèbres de la mort ! Enfants de Dieu, fuyez cette puissance ; elle entraîne tout, elle lutte, elle tyrannise, elle enlève les cœurs. Écoutez Jésus-Christ qui crie : On ne peut servir deux maîtres, Dieu et le monde. Écoutez un des Apôtres, qui ajoute : adultère, ne savez-vous pas, que l’amitié du monde est ennemie de Dieu ? Point de milieu, nulle espérance d’en trouver : c’est abandonner Dieu, c’est renoncer à son amour, que d’aimer son ennemi. Mais en renonçant au monde, faut-il renoncer à tout ce que le monde donne ? Écoutez encore un autre Apôtre, c’est Saint Jean : N’aimez ni le monde, ni les choses qui sont dans le monde, ni lui, ni ce qui lui appartient. Tout ce qu’il donne est aussi vain, aussi corrompu, aussi empoisonné que lui. Mais quoi, faut-il que les chrétiens vivent dans ce renoncement ? Écoutez-vous vous-même du moins, si vous n’écoutez pas les Apôtres : Qu’avez-vous promis dans votre baptême pour entrer, non dans la perfection d’un Ordre Religieux, mais dans le simple Christianisme et dans l’espérance du salut ? Vous avez renon-