Nous le demandons, quoi donc de si étrange, de si téméraire dans cette conduite ? N’est-ce pas là ce qu’on appelle embrasser la vie solitaire ? Si vous en doutez, feuilletez les saintes biographies ; parcourez les vies des Solitaires de l’Orient et de l’Occident. N’est-ce pas ce qu’ont fait Bruno et ses compagnons ? N’est-ce pas ainsi que se sont formés les corps religieux et établis presque tous les monastères ?
« Presque toujours les Saints sont devenus fondateurs d’ordres sans l’avoir prévu : réfugiés dans la solitude, où ils n’avaient prétendu entraîner personne, le parfum de leurs vertus leur attirait des disciples, qui allaient les chercher dans leur retraite et se placer sous leur conduite ; c’est ce qui arriva à Saint-Benoit, à Saint-Bruno, etc. » — (M. Henrion, Histoire des Ordres religieux, p. 6 et 7.)
Et qui pourra, et qui voudra empêcher quelques hommes de faire aujourd’hui, par amour pour Dieu, ce que des milliers d’hommes ont fait autrefois et dans tous les temps ? Nous le demandons, au nom des prophètes et des enfants des prophètes ; au nom de Jean-Baptiste et de Jésus-Christ ; au nom de l’Évangile et de l’Église universelle ; au nom de tous les saints solitaires de l’Orient et de l’Occident ? Nous le demandons, au nom du Dieu tout puissant qui a comblé les déserts de bénédictions, et qui en a fait le théâtre des plus éclatants miracles : — qui leur contestera ce droit, et peut-être cette obligation pour eux, s’ils veulent se sauver ? Certes, ce n’est pas le Souverain-Pontife : Un Pape autrefois, Saint-Pierre Célestin, a abdiqué la tiare pour retourner dans son désert d’où on l’avait arraché ! Ce ne sont pas les Évêques : combien d’évêques ont déposé la crosse et la mitre pesantes, pour s’enfuir et se cacher dans la solitude ! Ce ne sont pas les prêtres, non plus : combien, parmi eux, gémissent sous le poids du fardeau qu’on appelle charge d’âmes, et qui tournent leurs regards inquiets vers ces saintes retraites où l’on retrempe son âme dans la prière et la méditation ! Enfin, ce ne sont pas les bons chrétiens, les pieux fidèles, les laïques fervents : combien d’entre eux se disent chaque jour, au milieu du tumulte et des dangers du monde : oh ! s’il y avait une Thébaïde, non loin d’ici ; si nous savions où trouver des cellules, un lieu de sécurité ; si nous pouvions nous ensevelir dans un désert inconnu ! Oh ! si nous pouvions être délivrés du monde et des affaires !
Cependant, qui que vous soyez, prêtre ou laïque, ne suivez jamais l’attrait d’une vocation extraordinaire ; ne vous en allez jamais dans les solitudes écartées, avant d’avoir demandé et reçu la bénédiction de votre évêque, de l’ange du diocèse : n’y allez pas sans avoir accompli ce devoir et cet acte d’amour filial ; car sans cela, Dieu ne bénira pas votre fuite et ne fera pas fleurir votre solitude. Ne craignez pas ; allez avec confiance auprès de votre évêque ; cette bénédiction, il ne vous la refusera pas : il connaît le monde, il connaît les avantages de la retraite ; il a hérité de l’esprit des Basile, des Chrysostome et des Ambroise ; allez à lui ; il vous comprendra et vous bénira, comme Saint-Hugues, en vous indiquant lui-même une solitude inaccessible, un lieu de repos et de sécurité, un port contre les orages du siècle. Oui, c’est à l’évêque qu’il appartient d’examiner la vocation des ermites, des reclus, de tous les ascètes en général ; c’est à lui de leur donner une règle ou d’approuver celle qu’ils auront choisie ou composée.
On peut voir, dans les Vies des Saints par Godescard, quelle a été,