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« longtemps que si on y était naturellement propre. Cette application, qui doit être nécessairement alors plus forte et plus durable, augmente excessivement la tension et la fatigue de l’organe cérébral, rend ces travaux pénibles, accablants, et beaucoup plus pernicieux à la santé que lorsqu’on se livre à des études ou à des méditations soutenues sur des objets qui conviennent et plaisent à l’esprit, et qui par cela même exigent de sa part des efforts moins longs et moins violents. Le vrai moyen de ne pas réussir dans une partie quelconque, et en même temps d’altérer sa santé, c’est de persister à s’y livrer lorsqu’elle inspire ce dégoût, cette répugnance invincible, qui doit faire supposer que l’esprit n’y est nullement propre.

« De tout ce qui vient d’être dit, concluons en disant que, par analogie, l’esprit, chez la plupart des hommes, éprouve autant de dégoût à recevoir les éléments de certaines connaissances, et à être astreint à certaines études, que l’estomac de répugnance à recevoir et à digérer certains aliments ; que le premier n’est guère plus propre à la culture des unes que le second à la digestion des autres ; et qu’ils rejettent également loin d’eux ce qui ne convient pas à leur mode particulier d’organisation et à leurs dispositions primitives, malgré tous les efforts que l’on peut faire pour vaincre la répugnance qu’ils éprouvent l’un et l’autre. L’on peut naturellement en inférer encore que si l’étude, les méditations prolongées, et le travail de la composition nuisent presque toujours à l’intégrité de la santé, et souvent à celle des fonctions de l’entendement, quoique le genre de travaux d’esprit auquel on se livre convienne à l’état des dispositions mentales, le désordre doit être bien plus grand à la suite des efforts soutenus de l’esprit, lorsqu’on s’occupe de choses qui le dégoûtent, le fatiguent, et pour lesquelles il n’éprouve qu’une antipathie invincible » (E. Brunaud, De l’Hygiène des gens de lettres, ch. 3, p.132 et suiv.)

« L’une des plus pénibles situations que l’on puisse imaginer dans ce monde est celle qui condamne un homme à vivre dans une sphère oui n’est pas la sienne, à remplir chaque jour des obligations factices pour lesquelles il ne ressent qu’un insurmontable mépris, à se voir enfin surpris, dans sa force et son ardeur, comme Gulliver, du réseau des Lilliputiens. En d’autres termes, là où il n’y a pas pour les hommes d’un esprit distingué, sympathie de cœur, libre élan de la pensée, attraction et confiance, il y a froissement ; et si ce froissement se renouvelle chaque jour, à chaque heure, il est facile d’en comprendre les désastreuses conséquences…

« Ah ! combien d’hommes dont le nom est cité avec honneur, dont le sort semble paisible et assuré, dont on envie peut-être la position calme et attrayante en apparence, et qui succombent intérieurement dans ce rude conflit d’un rêve idéal et d’une impérieuse réalité ! Un jour arrive pourtant où le regard le moins clairvoyant remarque qu’ils languissent, qu’ils s’affaissent ; on se demande alors d’où leur vient ce subit abattement, et l’on ne sait pas que celui dont le visage pâle, l’œil éteint révèlent à tout le monde une si profonde souffrance, a épuisé ses forces dans cette lutte incessante contre deux puissances fatales qui le dominaient de côté et d’autre et ne lui laissaient ni trêve ni repos. » (X. Marmier.)

Les petits esprits et les cœurs égoïstes sont toujours prêts, dans leur aveugle activité, à tout confondre, et à tout jeter dans le même moule : ce sont les plus impitoyables niveleurs.

Les esprits supérieurs, au contraire, les grandes âmes respectent et favorisent le développement et l’action libre des forces multiples, distinctes et combinées de la nature et de la grâce ; de la nature confirmée et perfectionnée par la grâce.

Le tempérament venant de la nature, et la vocation venant de la grâce, et la grâce ne détruisant pas la nature, le tempérament et la vocation doivent donc se trouver en harmonie ; et c’est de cette harmonie que résulte une action tranquille et puissante.

Plus le corps de l’homme est spiritualisé par la prière, le jeûne, la mortification, par une vie intérieure et mystique, moins grande est la dissonance qui existe entre lui et l’esprit, c’est-à-dire, plus il est à l’unisson de l’esprit : et voilà pourquoi c’est par-