Les deux frères.
Frère, que tant de fois j’ai vu, sous les pins verts,
Dans ton enthousiasme, improviser des vers ;
Poète, dont la Muse, en lisant l’Évangile,
Tient d’une main Horace et de l’autre Virgile ;
Et dont Barthélémy, Cosnard, Méry, Deschamps,
D’Un bravo sympathique ont salué les chants ;
Muse qu’aima toujours la Muse des Savanes,
Dans son abri de joncs, de mousse et de lianes ;
Toi, dont la poésie a des plus belles fleurs
Emprunté les parfums et ravi les couleurs,
Et dont la verve ardente, en variant de mode,
Enfante l’élégie ou la satire ou l’ode ;
Frère, qui partageas, durant des mois entiers,
Ma rustique cellule ; et, sous les magnoliers,
En silence, as suivi les pas du Solitaire,
Qui murmurait le soir son mystique Rosaire :
Depuis cinq ans déjà, l’un près de l’autre assis,
Nous avons tous les deux relu nos manuscrits, —
Toi les Fleurs d’Amérique, et moi l’Antoniade,
Des pins faisant au loin vibrer la colonnade !
Et dans ta modestie et ta noble amitié,
N’osant de notre gloire accepter la moitié,
À tes brillantes fleurs préférant mon poème,
Tu prédis mon succès, en t’oubliant toi-même :
Mais notre gloire est une, et nos Muses sont sœurs,
Et dans les mêmes bois cueillent les mêmes fleurs ;
Et nos deux noms, toujours enlacés l’un à l’autre,
Toute gloire de l’un s’appellera la nôtre !
« Chantre de l’Évangile, ô barde de Sion,
« Ô toi, pour qui du ciel vient l’inspiration,
« Apôtre consacré de la lyre sublime,
« C’est l’heure de chanter, quand se taire est un crime ;
« C’est l’heure de chanter sur des modes nouveaux,
« De heurter de ton luth la hache des bourreaux,
« Dusses-tu, saint martyr, moderne Machabée,
« Rougir le sol du sang de ta tête tombée !
« Oui, comme Saluzzo, le céleste chanteur,
« C’est l’heure de tonner, de porter la terreur
« Dans les rangs aimantés de cette armée immonde,