Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 61 )

Il me vit, tout ému, l’écouter en silence ;
Lorsqu’il parla surtout des incultes tribus,
Des peuples primitifs, qu’on ne visite plus ;
Lorsqu’il fit un appel à la sainte jeunesse :
Avec quel dévoûment, avec quelle allégresse,
Je m’élançai soudain vers cet homme de Dieu,
Pour me donner à lui, pour le suivre en tout lieu : —
Mais en suivant l’attrait de mon ardeur mystique,
L’élan de mon amour, l’esprit Évangélique :
Mais en suivant cet homme, en traversant les mers,
En rêvant l’Amérique et ses vastes déserts ;
Lorsque j’ai salué les bois du Nouveau Monde,
Dans mon émotion si douce et si profonde ;
Quand sous mes pieds joyeux j’ai senti tressaillir
La terre où pour le Christ j’allais être martyr :
Ah ! je ne venais pas, pour être, au presbytère,
D’un opulent curé l’amovible vicaire ;
Oh ! non, pour vivre ainsi, je n’eusse pas quitté
Et la famille en deuil, et la vieille cité,
L’enceinte où je reçus une double naissance ;
Oh ! non, je n’aurais pas abandonné la France !
Si j’ai fui la patrie, en ma vocation,
C’est pour les Indiens, c’est pour la Mission !
 Apôtres-pionniers, qu’enflammait tant de zèle,
Vous n’aviez, autrefois, que l’informe nacelle,
Pour porter l’Évangile aux lieux les plus lointains ;
Et les rames souvent s’échappaient de vos mains,
Et le sommeil pesait sur vos paupières closes : —
Dans l’Age du progrès, l’Âge des grandes choses,
Pour annoncer au loin l’Évangile de Dieu,
Sur le péni-louak, la pirogue de feu,
De la vapeur tonnante empruntant la vitesse,
J’irai, brûlant d’amour, j’irai plein d’allégresse,
Sur le rapide char, j’irai, dans chaque lieu,
Porter aux Indiens l’Évangile de Dieu !…

  Coursier, que mon zèle réclame,
   Léviathan de feu,
   Œuvre d’un demi-dieu,
  Dont l’ardente vapeur est l’âme,
   Messager de la foi,
   Vole au loin avec moi !

  Monstre, enveloppé d’étincelles,
   Fumant comme un volcan,
   Qui d’un bruit d’ouragan
  Émeus les forêts éternelles,
   Messager de la foi,
   Vole au loin avec moi !