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Pour qui tout n’est pas mort ; pour qui les choses belles
Ont un attrait si grand que, dans leur sainte ardeur,
Ils ont à les aimer consumé tout leur cœur !
Les temples sont déserts, mais la lyre est vibrante ;
Solitaire à l’autel, le barde prie et chante ;
Il sait qu’aucune main ne doit joncher de fleurs
Et d’immortels lauriers les sentiers de douleurs ;
Et qu’il lui faut passer, méconnu sur la terre,
Pour ses chants recueillant l’ingratitude amère. —
Non, les hommes n’ont plus de sublimes amours ;
Aux célestes accords ils sont devenus sourds ;
Brisant tous les autels, démolissant les temples,
Ils ont nié les temps d’héroïques exemples ;
L’âge où les harpes d’or, versant la vérité,
Faisaient parler la voix de la Divinité ;
Où la foule immobile, en extase ravie,
Aux pieds du chantre aimé, s’enivrait d’harmonie !
Plongés dans la matière et ne croyant qu’aux sens,
Aujourd’hui pour le barde ils manquent tous d’encens !
Ils ont calomnié le Moyen-Age épique,
L’âge heureux d’une foi si naïve et mystique :
L’âge de Saint Bernard et de Thomas d’Aquin,
L’Angélique docteur, l’aigle Dominicain ;
Ils ont osé nommer siècle de barbarie,
Le siècle illuminé de tant de poésie,
Où Saint François d’Assise, apôtre pèlerin,
Séraphique exilé brûlant d’amour divin,
Seul, évangélisait les peuples d’Italie,
Et leur communiquait sa sublime folie !…
 N’importe ! — le poète aura toujours des chants
Pour tout ce que ce monde a de charmes touchants ;
Pour l’arbre et les oiseaux, la mer et les étoiles,
Et tant d’objets divins encor couverts de voiles !
De la sphère invisible écartant le rideau,
D brûlera toujours de contempler le Beau ;
De remonter au type éternel et sans tache,
Que ce monde révèle et qui pourtant se cache ;
Il publira partout en ses accords divers,
Que l’homme n’est pas fait pour ce pâle univers ;
Qu’il est un monde heureux, par delà tous les mondes,
Où l’âme goûte enfin des voluptés profondes ;
Séjour plein de lumière, et qu’ont peint tour-à-tour
Les Sages qu’éclairait à peine un demi-jour.
Malgré l’âpre discord des paroles impies,
Le barde aura toujours de saintes mélodies !
 Homère, Camoëns, Dante, Milton, Gilbert,
Exilés ou sans pain, tous vous avez souffert ;
Vous l’avez éprouvé, la patrie est avare ;
L’éloge qu’elle donne est une perle rare ;