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Forte et douce vertu par qui se double l’âme !
Ô toi, qui fus pour moi, dans le froid abandon,
Tout ce que le cœur rêve et que l’homme a de bon ;
Que le Seigneur sur toi répande la rosée
Par qui l’âme est bénie et la terre arrosée ;
Et qu’en se répandant sur toi, sur tes enfants,
Sa bénédiction fertilise tes champs ;
Oh ! oui, que le Seigneur te rende, avec largesse,
Ce que tu fis pour moi, dans l’extrême détresse !
Lorsque par tant d’amis je me vis déserté,
Toi, tu restas le même, et seul à mon côté ;
Je vis renaître en toi, — seul fidèle entre mille, —
Et le corbeau d’Élie et la biche de Gille ;
Dans le sentier étroit, qui mène à mon désert,
De tes pas j’ai souvent entendu le concert ;
Et toi seul, ô mon frère, en ta sollicitude,
As, plus qu’un peuple entier, peuplé ma solitude !
Sois donc béni, mon frère, au nom du Dieu d’amour,
Qui rend pour chaque don le centuple en retour ;
Et que Marie au ciel écoutant ma prière,
Sans cesse te protège et guide sur la terre :
Écrit sur cette page, oh ! que ton souvenir
De la sainte amitié témoigne à l’avenir ;
Et qu’on ne dise pas, avec l’accent sceptique :
« L’amitié n’est qu’un nom, un rêve poétique ! »
Celui qui parle ainsi, celui qui n’aime pas,
Porte déjà l’enfer dans son cœur ici-bas ;
L’enfer de l’égoïsme et de l’âme glacée,
En qui jamais ne germe une grande pensée ;
Oui, ne pouvoir aimer comme l’on aime au ciel,
C’est l’enfer ici-bas, et l’enfer éternel !
 Ô mon frère, ô Félix, mon compagnon d’enfance,
Mon doux consolateur aux jours de la souffrance,
Que le Seigneur sur toi verse tous ses présents !
Sur toi, sur ta maison, ta famille et tes champs !