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Tandis que le grand nombre est armé de la lance,
Une garde d’élite intercède en silence ;
Pendant l’active ardeur de son peuple guerrier,
Moïse sur le mont ne cesse de prier ;
Armé de l’oraison, il lutte avec Dieu même,
Et triomphe en priant de la force suprême ;
Immobile, à l’écart, le jour comme la nuit,
Il combat en repos et triomphe sans bruit !
Tandis qu’avec éclat retentit l’éloquence,
Une âme solitaire, et qui prie en silence,
Agit sur l’auditoire autant que l’orateur,
Et par elle descend l’Esprit consolateur ;
Oui, par elle la grâce agit sur l’auditoire ;
C’est en elle, à l’écart, qu’est le souffle oratoire ;
Et tandis qu’elle embrasse et conquiert des milliers,
Elle a l’oubli de tous, et lui tous les lauriers ! —
La prière ! ô pouvoir que notre siècle nie,
Et qui pourtant, sans bruit, domine le génie ;
Des Chefs, à leur insu, règle les mouvements,
Et sauve, enfin, le peuple et les gouvernements !
 Amérique, pour toi s’ouvre une nouvelle ère ;
Il faut pour te sauver le jeûne et la prière ;
Au lourd poids de la chair il faut un contre-poids ;
Ici, l’homme affranchi jouit de tous ses droits ;
Ici, de chaque humain la conscience est libre ;
Mais la prière manque au divin équilibre ;
Par le poids de la chair ce globe est trop penché ;
Le jeûne est donc pour lui le contre-poids cherché !
Je t’apporte, Amérique, un culte plus austère,
Un esprit de retraite, un esprit de prière.
Je viens ressusciter cet ascétique esprit,
Que jadis en Judée enseigna Jésus-Christ. —
Je viens, lasse d’errer au milieu des ruines,
Dans un Monde Nouveau, choisir mes héroïnes !
Je viens, pour retrouver l’élan du genre humain,
Adopter les enfants du sol Américain ! —
Là, des peuples vieillis la race est rajeunie !
Je viens à toi ; salut, Amérique bénie !
À toi l’élan de l’âme et la sainte ferveur !
Le Vieux Monde est glacé par son esprit railleur !
Pour que mon règne encor sur la terre renaisse,
Chez toi je trouverai la fleur de la jeunesse !
Abandonnant enfin des mondes vermoulus,
Je viens parmi les tiens chercher d’autres élus ! —
Ô discuteurs craintifs des nations âgées,
Esprits contradicteurs, âmes découragées,
Rois du sarcasme amer et du rire glacé,
Sceptiques avortons d’un empire éclipsé,
Vous, qu’on voit apparaître et régner, quand la vie,
En se refroidissant, amène l’agonie :