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DIEU SEUL !

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l’ange de la solitude.


 
L’Esprit de Dieu jamais n’agit dans le tumulte ;
Le Paradet se plait dans le désert inculte ;
L’azur calme et brillant n’est jamais reflété
Dans le cœur orageux ou le lac agité. —
Lorsque Dieu veut parler a quelque âme embrasée
Et sur elle répandre une douce rosée,
La séparant du monde, il l’attire au désert,
Et là, dans le secret, se montre à découvert !
Moi, l’Ange du silence et de la solitude,
L’Ange de la douleur, que fuit la multitude ;
Moi, j’aime les grands bois ; j’habite les hauts-lieux,
Où jamais n’ont mugi les torrents populeux. —
Ah ! le Démon me craint ! le monde me redoute !
La chair tremble et pâlit, quand une âme m’écoute !
Mon regard terrine ; il glace au fond du cœur
De tout homme charnel le sourire moqueur !
Le sentier où je marche est parsemé d épines ;
On y cueille l’absinthe et d’amères racines ;
On y voit le cilice et le sac et la croix,
Instruments de souffrance et d’ivresse à la fois !
Là, le jeûne ascétique enflamme la prière ;
Comme un aigle, l’esprit plane dans la lumière ;
Là, toute chair revêt de mystiques pâleurs,
Et l’âme goûte en paix la volupté des pleurs !
L’âme y souffre avec joie ; et la chair, dans l’ivresse,
En se fortifiant, partage sa tristesse !
Oh ! c’est là que l’amour, divine passion,
Mélange d’agonie et d’exultation,
Dans l’étroite cellule et l’obscur oratoire,
Accomplit devant Dieu son œuvre expiatoire !
C’est là qu’en ses transports l’extatique douleur
Des maux universels sonde la profondeur ! —
L’humanité coupable a besoin de victimes !
Il faut un contre-poids au fardeau de ses crimes !
C’est le décret du ciel, la loi de tous les temps,
Que les bons, en priant, souffrent pour les méchants ;