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Gravité ! gravité ! toi que le peintre aimait,
Et qu’en tous ses tableaux autrefois il peignait, —
Où sont les doux rayons de ta pâleur sereine,
Les parfums qu’épanchait ta candeur souveraine ? —
De la terre, aujourd’hui, le rire immodéré,
Le rire t’a bannie, — et l’Église a pleuré ! —
 Séparé de la foule, et lui semblant étrange,
Le prêtre en ses vertus est l’émule de l’Ange ;
Et s’il tombe, il s’abîme en des flots de limon :
En cessant d’être un Ange, il devient un Démon !
Alors, vous enlaçant, ô perfides complices,
Il vous entraîne et roule au fond des précipices ;
Lui, que Dieu destinait à vous conduire aux cieux,
Vers l’Enfer il vous fraie un chemin spacieux !
C’est un décret divin, il faut qu’il s’accomplisse ;
À la faute le ciel égale le supplice :
Tel peuple, tel clergé ! — S’il n’est un Ange, hélas !
Le prêtre, en sa basesse, est Simon ou Judas !
Des ténèbres du mal son âme est investie ;
Il porte en soi l’Enfer, s’il ne porte l’Hostie ;
Pour lui, divin modèle, il n’est pas de milieu :
Il remplit de parfums ou souille le saint-lieu ! —
Un esprit goguenard, un ton de persiflage,
D’un cœur sacerdotal ne rend point témoignage ;
Et s’il est en ce monde un monstrueux griffon,
C’est un prêtre railleur, c’est un prêtre bouffon !
Mais tout va bien, au gré du Démon qui ricane ;
Il a d’un peuple saint fait un peuple profane ;
À l’esprit recueilli, l’esprit intérieur,
Il a fait succéder le fol esprit rieur ;
Il a par cet esprit glacé l’enthousiasme,
Et dans le cœur éteint l’amour par le sarcasme !
Au bruit du rire affreux et du ricanement,
L’Ange de piété remonte au firmament ! —
Rire aimé des mondains, rire et gaîté profane,
Du cloître et du désert la Règle te condamne !
Mais toi, douce tristesse, angélique vertu,
De ton esprit le temple est toujours revêtu ;
Tu planes sur le dôme où la prière habite ;
Tu suis le cœur qui prie et le front qui médite ;
De toute œuvre on te voit protéger le berceau ;
Et c’est toi qu’on retrouve encor sur le tombeau !
Au cœur de l’amitié tu luis comme une étoile,
Et l’amour en pleurant se cache sous ton voile !
Ô suave tristesse, ô sainte gravité,
Voile resplendissant de la virginité,
Isolement sacré, silence, ombre, mystère,
Quelle âme n’a senti tout votre charme austère ?
Vierges qu’au chaste Époux enchaîne un triple vœu,
Anges contemplatifs qui ne vivez qu’en Dieu,